La fidelite

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La fidélité a-t-elle encore une place dans notre société occidentale actuelle si individualiste, matérialiste, liberticide, où tout engagement à long terme fait peur, surtout aux jeunes, comme si elle bridait la liberté, surtout celle d’aimer?

La fidélité serait-elle donc opposée à notre liberté? Cela dépend comment on envisage notre liberté: celle de faire tout ce dont on a envie, tout ce qu’on pourrait désirer ou bien celle utile pour nous construire en tant qu’homme raisonnable et responsable?  Dans ce cas notre liberté sera forcément limitée, d’abord par celle des autres, puis par toutes les lois sociales, et pour les croyants, les lois divines et religieuses.

La fidélité devient alors, non plus une contrainte, mais un chemin de vie qui conduit, selon l’oraison citée en exergue, à « un bonheur durable et profond ».Etymologiquement, le mot fidélité vient du latin fidelitas qui, lui-même, vient de fides qui donne en français: foi. Les mots hébreux èmèt et èmûnâh que la Vulgate traduit par véritas et fides dérivent d’une racine évoquant d’abord l’idée d’appuis, de soutien, puis celle, connexe, de solidité, de stabilité, de sécurité. De l’idée de vérité ainsi comprise, on arrive naturellement à celle de fidélité car on ne peut se fier qu’à ce qui est vrai.

Au sens spirituel, la fidélité est une adhésion indestructible à une valeur consciemment saisie et librement acceptée. En parlant des personnes, ce sera l’exactitude à remplir ses engagements et à tenir ses promesses.

Mais il y a dans la fidélité un certain paradoxe: comment l’homme ou la femme, êtres inconstants et muables par nature ont-ils le droit de s’engager comme à crédit pour l’avenir? Ce serait oublier que la conscience est une volonté libre qui a le pouvoir de s’élever au dessus de la durée pour la dominer, assurer la continuité entre le présent et le passé, ainsi que préformer l’avenir.

La fidélité exprime donc la qualité de celui qui est fidèle, c’est à dire qui remplit ses engagements, tient ses promesses, et par là se montre digne de confiance, sûr, droit, loyal, constant… Au contraire, l’infidèle est soit un adultère et on parlera d’un mari où d’une femme infidèles, soit celui qui manque de foi, c’est à dire qui ne croit pas à un Dieu considéré comme le vrai.

La fidélité est avec l’amour du prochain et la justice un des fondement de la vie en société. Ainsi la fidélité est-elle très souvent évoquée dans la Bible.

Lorsqu’on entend « fidélité » ne pense-t-on pas tout de suite: fidélité dans le mariage, alors qu’elle dépasse le seul cas d’infidélité entre époux puisqu’elle devrait englober tous nos actes comme toute notre vie. Comment imaginer être fidèle dans un domaine et pas dans un autre? Car, s’il y a la fidélité due au prochain, n’y a-t-il pas d’abord la fidélité à soi-même et celle due à Dieu? C’est cette dernière qui permet toutes les autres: nous pourrons être et rester fidèle en restant uni à Dieu qui lui, le premier, est fidèle. Il est même la source de toutes les fidélités. Revenons à cette même oraison du 33éme dimanche dans sa totalité:

« Accorde-nous, Seigneur, de trouver notre joie dans notre fidélité, car c’est un bonheur durable et profond de servir constamment le créateur de tout bien. »

Mais la fidélité n’est pas un chemin de facilité! Au contraire, il demande de s’y engager avec courage, patience, confiance, espérance, vérité et détermination. Sur quoi s’appuyer, à qui faire confiance pour suivre sans trop de traverses ce bon chemin? Comme croyant, on ne peut compter que sur Dieu seul, Lui, le seul fidèle. Cette vérité n’est-elle pas Bonne Nouvelle? Déjà, dans l’Ancien Testament, l’image du rocher était présenté à tous ceux qui cherchaient un appuis solide:

« Qui est Dieu hormis le Seigneur, le Rocher sinon notre Dieu? » ( 2 Sam. 22,32 et psaume 17,32).

Dans beaucoup d’autres psaumes on retrouve la même image. Dans le Nouveau Testament, Matthieu reprendra cette même image pour construire notre « maison » (symbole de notre vie) sur ce roc inébranlable et fidèle (Mat. 7,25).

Mais toute fidélité n’est pas forcement bonne! Il y a une mauvaise fidélité qui peut être pervertie par un intégrisme refusant toute évolution comme ces pharisiens intransigeants que les évangélistes nous montrent si souvent opposés à Jésus. Pourtant tous sont fidèles à Dieu, à la Loi, aux traditions religieuses de leur temps. Mais ils restent fidèles seulement à la lettre alors que Jésus est fidèle selon l’Esprit comme saint Paul l’écrit pour mettre en garde les Corinthiens: « La lettre tue, c’est l’Esprit qui vivifie » ( Cor.3,6).

On a vu que toute fidélité prend sa source en Dieu, lui le premier et le seul vraiment fidèle.

 

FIDELITE DE DIEU:

Dans l’Ancien Testament, la fidélité de Dieu est aussi fondamentale que l’élection et l’alliance. Dans le livre de l’Exode le Seigneur lui-même proclame devant Moïse: « Le Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte faute, révolte et péché, mais ne laisse rien impuni… » (Ex.34,6).

Il est donc ce rocher immuable dont les promesses et les paroles ne passent pas. A l’opposé, pour Isaïe, la multitude humaine est aussi passagère que de l’herbe devant la permanence de Dieu: « l’herbe se dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsiste toujours » (Is.40,8). Dieu ne ment jamais, tient ses promesses, exécute ce qu’il a prévu: « Seigneur tu es mon Dieu, je t’exalte et je célèbre ton nom, car tu as exécuté tes merveilleux projets conçus depuis longtemps, constants et immuables » (Is.25,1).

Dieu s’est attaché à Israël comme à une épouse choisie et bien aimée. Il s’est uni à elle dans une alliance de fidélité parfaite sans laquelle on ne peut connaitre le seul et vrai Dieu: « Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaitras le Seigneur » (Osée 2,22). Ce mot de « fiancer », qui revient avec tant d’insistance chez le prophète Osée, ne doit pas faire penser à un engagement provisoire, mais comme le moment des promesses liant définitivement les conjoints qui connaitront l’union parfaite dans le Royaume futur.

C’est toujours Dieu qui a l’initiative et l’alliance de Dieu avec son peuple est unique. Elle est le fait d’une libre initiative qui, révélant la souveraineté de Dieu et le caractère inconditionné de son amour, constitue une grâce au sens plein du terme de totale gratuité. L’idée d’alliance se fonde sur celle de l’élection, mystère dépassant la compréhension de l’homme, car son origine se fonde dans l’amour même de Dieu.

Et une fois que Dieu a donné son amour, il ne le reprend pas. C’est ainsi que, avec la miséricorde, la fidélité apparait comme une des constantes de l’attitude et, si l’on peut dire ainsi, de la physionomie morale du Dieu d’Israël.

 

FIDELITE A DIEU:

La fidélité de Dieu appelle la réponse de l’homme. Dans toute la Bible, dans l’ancien comme dans le nouveau Testament, cette réponse est fondamentalement la foi.

En hébreu, une même racine exprime, et la fidélité de Dieu, et la foi de l’homme, foi qui est confiance et remise totale de soi à Dieu. Et c’est la fidélité de Dieu qui donne à l’homme la sécurité, qui l’aide et le protège… en un mot qui le sauve.

Mais la foi suppose pour l’homme une continuité, un attachement, la persévérance dans la confiance et la fidélité comme le dit le prophète Habacuc: « Le juste vivra par sa fidélité » (Hab.2,4).

Cette fidélité il nous faut la demander au Dieu fidèle selon la prière de supplication que fit Salomon lors de la dédicace du Temple:

« Que le Seigneur notre Dieu soit avec nous comme il a été avec nos Pères. Qu’il ne nous délaisse pas et ne nous abandonne pas, qu’il incline nos cœurs vers lui pour que nous marchions dans tous ses chemins et gardions les commandements, les lois et les coutumes qu’il nous a prescrit » (1Roi 8,24-57 et 58).

Pourtant l’histoire d’Israël est celle de ses infidélités et de l’abandon du Dieu de ses Pères. C’est déjà cette idolâtrie matérialiste que nos sociétés modernes occidentales connaissent si bien.

Dans le nouveau Testament, le salut nous est donné par Jésus-Christ, mais avec des épreuves et des persécutions d’où les nombreuses exhortations à garder fidèlement la foi et la confiance en lui:

« Je connais tes épreuves, déclare le Christ à l’ange de l’Eglise de Smyrne, reste fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie » (Apo.2,9-10).

Il ne peut pas y avoir de fidélité sans une obéissance qui est l’engagement de tout l’être. Dieu, en s’engageant le premier, demande à l’homme la même fidélité active. Et pas non plus de fidélité sans amour de Dieu, de soi et des autres.

 

FIDELITE A SOI-MEME:

C’est parce que l’homme a été créé à l’image de Dieu (Genèse 1,26), qu’il a l’obligation fondamentale d’aimer et d’être fidèle à son prochain, en s’aimant d’abord soi-même, selon le commandement du Christ « d’aimer son prochain comme soi-même« . Cette fidélité à soi-même a pour premier principe l’exigence de ressembler à son Créateur qui l’a créé « à son image, selon sa ressemblance » (Gn.1,26). Je ne pourrai être saint comme Dieu est Saint qu’en imitant la fidélité dont il fait preuve à l’égard de tous et d’abord de moi-même.

Mais il n’est pas question ici d’une fidélité stoïcienne qui mettrait son point d’honneur et son orgueil à être toujours égal à lui-même dans ses attachements comme dans ses opinions. Si nous devons nous aimer nous-mêmes sans risquer un désastreux narcissisme infantile, nous devons aussi mettre toute notre volonté à rester ce que nous sommes sans tomber dans le piège de vouloir ressembler à une de ces idoles à la mode.

Nous éviterons toutes ces tentations en restant humblement à notre place d’enfant de Dieu pour répondre à ce que la bonté de notre Père désire pour chacun de nous. C’est un désir qui exige aussi le service des autres comme le Christ, qui n’est pas venu sur terre « pour faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l’a envoyé » ( ) nous l’a enseigné. L’accomplissement du dessein de Dieu sur moi sera la fidélité à ma vocation, forcément unique. Si je ne réalise pas ce dessein, ma vie sera manquée comme si elle s’était poursuivie sans moi. Ce ne sera que dans la fidélité à Dieu que je deviendrais, mais sans déterminisme, ce qui était prévu que je sois selon l’image du Dieu-être parfait qui s’est désigné lui-même comme celui qui EST de toute éternité.


 FIDELITE AUX AUTRES:

On vient de voir que la fidélité ne doit pas être donnée seulement à Dieu, mais comme pour l’amour, elle est due aussi au prochain. L’homme fidèle le sera dans tous les domaines et dans toutes les situations. Dans l’ancien Testament, les « hasidim » (les pieux) étaient aussi appelés les « fidèles », terme qu’on retrouve dans le nouveau Testament et qui, encore aujourd’hui dans le langage populaire, désigne ceux qui vont régulièrement à la messe et suivent fidèlement les préceptes de l’Eglise.

Si tous nous sommes des images de Dieu qui se rend ainsi présent, je ne pourrai pas être fidèle à mon Créateur sans être également fidèle aux autres: dans l’homme il y a toujours plus que l’homme lui-même puisqu’il est un temple de l’Esprit Saint, une demeure de Dieu. Et ma fidélité à mon frère le dépasse toujours puisqu’elle va jusqu’à notre Père commun.

Si la fidélité est une capacité de l’âme à vivre pleinement et durablement toutes nos relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales, sociales… elle est surtout une qualité de l’amour qui, s’il n’a pas en principe de règle, ne peut s’exercer librement qu’avec délicatesse, humilité, discrétion et respect de tous dans leurs différentes traditions culturelles.

La fidélité est par nature une relation de réciprocité. Mais, comme l’amour lui-même, elle peut exister chez l’un et pas chez l’autre ou, du moins, à des degrés différents. Ce sera alors pour le premier, une véritable épreuve, une souffrance, mais aussi un appel lancé à l’autre. De toute façon, l’infidélité de l’autre ne pourra jamais justifier la mienne, car il reste toujours une image de Dieu capable de conversion et de progrès. Et ce sera alors à cette œuvre que le meilleur de ma fidélité pour lui ou pour elle aura à collaborer avec la grâce de Dieu.

Nous expérimentons ainsi la faiblesse et la fragilité de nos fidélités: le temps qui passe amène l’accoutumance, l’éloignement, l’oubli… qui, s’il n’est pas encore infidélité, le prépare insidieusement avec souvent de nouveaux attachements qui se substituent aux anciens. Aussi, pour contrer ce lent « détricotage », et fixer les choix et priorités de notre volonté, on peut utiliser des aides extérieures comme « la parole donnée », les promesses, les vœux officiels ou privés. Tous ces engagements peuvent se concrétiser dans une cérémonie privée ou publique avec la possibilité d’un échange d’objets symboliques comme par exemple ces anneaux appelés justement « alliances » dans le cas des mariages.

Ces quelques lignes sont bien trop modestes et insuffisantes pour répondre à un sujet si vaste et si important, surtout à notre époque. Elles veulent surtout introduire les quelques témoignages suivants qui présentent un éventail d’états de vie aussi varié qu’il a été possible de regrouper ici. Aussi je remercie tous ceux et celles qui ont accepté de témoigner avec une si belle simplicité et franchise.

Frère Raphaël Flaujac