Assomption 2020
La première créature à entrer « corps et âme » (de tout son être) dans l’espace et le temps du Créateur ne pouvait être que celle qui avait consenti à ce que le divin passe dans l’humain : espace vital donné par la terre au ciel, la Vierge-Mère devient le germe et les prémices d’une création transfigurée. Dans la foi de l’Eglise, Marie est désormais au-delà de la mort et du jugement, dans cette dimension autre de l’existence à laquelle nous ne savons donner de nom, si ce n’est « ciel ». (Enzo Bianchi, Donner sens au temps, Bayard 2004, p. 140)
Pardon de partir si vite dans les hauteurs et les profondeurs du mystère de l’Assomption de Marie, mais cela nous évitera de nous perdre dans les sinuosités de la réalité inimaginable du dessein de Dieu sur le monde, sur l’homme.Dieu veut, de toute éternité, que Sa création parvienne à son plein achèvement, et cette plénitude de Vie, qui est une longue germination, une lente croissance, advient par le passage avec le Christ, de la mort à la Vie : mort à tout ce qui, de notre humanité, est caduc, pour accéder à la plénitude de la Vie en Dieu. La création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement, écrit saint Paul. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. (Ro 8, 22-24)
Marie a été choisie pour donner corps à ce dessein d’amour. En donnant la vie à Jésus, le Fils de Dieu, elle entraine avec elle toute l’humanité dans ce passage de l’humain au divin : en elle toute l’humanité devient le berceau de Dieu ; avec elle, Dieu devient l’avenir, le présent donc, de l’homme.
Partant de cet acte de foi, nous ne pouvons plus pressurer la terre, l’épuiser, la polluer, pour notre seul profit ; nous ne pouvons plus la soupçonner d’être un lieu de perdition ; nous ne pouvons plus regarder notre corps comme un ennemi ou une gêne ; nous ne pouvons plus l’utiliser comme un objet de plaisir, ou un outil de production ; nous ne pouvons plus voir dans les autres des concurrents ou des ennemis ; nous ne pouvons plus nous comporter en dominateurs ou en accapareurs ; nous ne pouvons plus jouer aux demi-dieux, maîtres de la vie et de notre destin, quand ce n’est pas du destin des autres…
Car la terre est l’œuvre de Dieu, au service de l’homme certes, mais promise, elle aussi, à être recréée ; elle mérite d’être soignée, nourrie, pour donner le fruit dont l’homme besoin et l’accompagner sur le chemin d’éternité que Dieu lui promet. Dieu, pour cela, a fait Alliance avec lui, sa créature ; Il le destine à partager Sa gloire, celle même dont le Christ a hérité à Pâques ; l’homme ne pourra jamais se donner cette plénitude de Vie ; l’argent, le pouvoir, le savoir, la technique, la science ne seront jamais des buts, ne procureront jamais que des soucis et de l’insatisfaction : ils disparaîtront… Restera toujours l’homme et sa soif de reconnaissance et d’amour que Dieu seul peut combler et dont il comble, en premier, Marie qui lui a tout donné d’elle-même.
L’Assomption de la Mère de Dieu est le gage de notre propre destinée, à tous ; elle n’est pas une faveur faite à Marie, qui nous laisserait indifférents, peut-être simplement admiratifs ; elle nous engage à adopter un tout autre comportement dans le quotidien, un tout autre regard sur les personnes que nous croisons ou avec qui nous vivons, une tout autre approche des situations que nous rencontrons, un tout autre jugement sur l’actualité et les événements auxquels nous sommes affrontés…
Marie est la terre du ciel, chante une hymne de la liturgie orthodoxe. Puissions-nous tous ensemble, par l’unité, la paix et la justice auxquelles nous aspirons et pour lesquelles nous œuvrons, devenir cette terre où se reflète le ciel, pour qu’un jour, totalement transfigurés dans le Christ, chantant Magnificat avec Marie, nous devenions eucharistie, le corps total du Christ ressuscité.
Fr. Paul-Emmanuel
Abbé du Bec