Ce récit est un signe, comme Cana, comme la multiplication des pains, dimanche dernier. Il a été écrit après Pâques, et l’on y retrouve des mots, des expressions proprement pascales.
Mais situons-le, d’abord, dans la continuité de l’Evangile : pour éviter d’être happé par la foule qui, nous dit Jean, voudrait le faire roi, Jésus renvoie ses disciples et se retire, à l’écart, pour prier : c’est une nécessité vitale pour lui de demeurer un long moment seul à seul avec son Père. Et puis, il veut rester fidèle à sa mission, craignant toujours qu’on se méprenne sur sa véritable intention : il n’est pas le Messie politique que tout le monde attend.Matthieu, en construisant son récit, dans lequel il faut inclure la multiplication des pains, a deux références en mémoire : la délivrance de l’Egypte, avec la traversée de la mer à pied sec et le don de la manne ! La dernière Cène, le jeudi saint, et la résurrection, la victoire du Christ sur les grandes eaux de la mort.
Nous sommes donc vers la fin de la nuit, de grand matin (Jn 20, 1), comme à Pâques, quand Marie Madeleine se rend au tombeau. La barque qui, pour Matthieu, représente l’Eglise, est battue par les vagues, car le vent est contraire. Jésus vint, dit l’évangéliste, le même verbe qu’emploie Jean, quand il relate les deux premières apparitions du Ressuscité aux disciples, le soir du premier jour de la semaine et huit jours plus tard avec Thomas. (Jn 20, 19-31)
Les quatre évangiles rapportent que les disciples, en voyant Jésus leur apparaître vivant, croient voir un fantôme : ils ont peur et doutent que ce soit bien lui. Ici, de même : Bouleversés, écrit Matthieu, ils disaient : « C’est un fantôme », et la peur leur fit pousser des cris. (Mt 14, 26) Encore là, Jésus intervient : Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! (Mt 14, 27 ; cf Lc 24, 36- 43) C’est vraiment le schéma des apparitions pascales et l’expérience intime des disciples qui sont rapportés ici.
Allons plus loin : le si c’est bien toi, Seigneur, s’écrie Pierre, ordonne-moi de venir à toi sur les eaux ! On croirait entendre Thomas, conditionnant son acte de foi à la possibilité d’enfoncer sa main dans la plaie du côté de Jésus… (Jn 20, 25) Le même doute, la même condition ! Thomas confesse Jésus Seigneur, avant même d’avoir vérifié l’authenticité de ses plaies ; Pierre entend aller jusqu’au bout de sa vérification : il veut voir si ça marche, pour croire… ET le voilà qui coule ! Sauve-moi, Seigneur ! Son cri est un acte de foi, mais une foi faible encore, qui ne doit plus avoir besoin de preuves, qui doit s’appuyer sur la seule parole du Christ : Viens !
Nous sommes donc en présence d’un signe, non d’un miracle qui aurait été pour Jésus une occasion ou un moyen de forcer la foi des siens. Pour lire, dans cet événement vécu par les Apôtres, un signe de La résurrection, il a fallu des mois et la traversée de la Passion, de l’absence de Jésus, de ses apparitions, le jour de Pâques et durant les quarante jours qui ont suivi.
Le même chemin nous est demandé aujourd’hui : notre barque (l’Eglise, nos communautés) est battue par les vagues de l’actualité, fragilisée à force d’essuyer de fortes tempêtes, l’horizon bouché par les incertitudes de l’avenir… Croyons-nous vraiment que Jésus ressuscité est maître de la Vie et de l’avenir, que les vagues, les tempêtes, les eaux profondes de la mort lui sont soumises ? La foi ne doit pas être un prétexte pour ne rien faire et nous laisser porter par le vent de l’histoire ; elle nous engage, au contraire, à œuvrer toujours pour demeurer réceptifs à la grâce et participants au travail de l’Esprit en nous.
Fr. Paul-Emmanuel
Abbé du Bec