Homélie :
Frères et sœurs bien-aimés,
C’est avec joie que nous célébrons ensemble, dans cette abbaye, la solennité de la fête de la Pentecôte qui clôture le temps pascal. Dans le récit des actes des Apôtres que nous connaissons assez bien : Le Seigneur vient avec Son Esprit de Feu et répand sur chacun une flamme qui – en même temps – permet à chacun de parler dans sa langue maternelle, et à tous de comprendre les autres. Et j’aimerais placer cette méditation sur l’Esprit-Saint sous le signe de l’unité. Au fond, c’est l’unité que l’Esprit-Saint amène lorsqu’Il est présent. De même qu’il y a eu cette unité le jour de la Pentecôte – où chacun s’exprimait dans sa propre langue, et chacun comprenait l’autre – de même cette unité est un des signes de la présence de l’Esprit.
On voit bien – la comparaison a été faite souvent – entre l’Esprit-Saint qui vient le jour de la Pentecôte et la Tour de Babel. Alors que dans l’histoire de Babel, les hommes avaient voulu, par leurs propres forces, édifier une tour qui monte jusqu’au ciel, sans avoir recours à Dieu, cela s’est fini par la division des langues et l’achèvement de leur œuvre.
Tout au contraire, à la Pentecôte, c’est Le Seigneur lui-même qui vient sur chacun et qui permet l’unité et la communion, pour pouvoir révéler à chacun son propre visage, et révéler à chacun ce qu’il est. Regardez cette différence : lorsque l’on compte sur Dieu, lorsqu’on se laisse faire par Lui, lorsque l’on invoque son Esprit-Saint, petit à petit les cœurs s’apaisent.
Ce dont parlait Saint-Paul dans la deuxième lecture, ce désir de querelle, de domination sur l’autre, de sectarisme, de division, d’idolâtrie, tout cela s’effondre. C’est ce que nous avons dit dans cette très belle prière que nous avons reprise tout de suite avant l’Évangile : « Esprit-Saint, assouplit ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé… »
C’est pour cela que l’on demande à l’Esprit-Saint de venir en nous, car nous prenons bien conscience que, même si nous sommes les temples de l’Esprit, il n’y a pas que l’Esprit-Saint en nous : il y a l’esprit d’égoïsme, de domination et d’orgueil. Il y a donc un combat spirituel à livrer pour que chacun puisse accueillir l’autre – à la fois différent et complémentaire. C’est le mystère de l’Église.
Chacun a un rôle particulier, et il est important que chacun l’accomplisse. « Lorsque l’Esprit-Saint est au rendez-vous, chacun peut accomplir et donner sa mesure sans pour autant faire de l’ombre à l’autre. »
C’est là la vraie grâce et le signe que l’on est mu par l’Esprit : on accueille le don de l’autre, on accueille le don qu’est l’autre. Alors que, dans une logique plus humaine – de domination pour ainsi dire – c’est l’inverse. On voit l’autre comme une menace : « il ne parle pas la même langue, n’est pas de la même culture, pas de la même religion que moi, donc, je m’en méfie ». Alors, qu’au contraire, lorsque l’on est animé par l’Esprit de Pentecôte, on se pose la question : « Qu’est-ce que l’autre peut m’apporter ? ».
Et l’Église, avec toute sa fragilité, parce qu’elle est aussi une réalité humaine, veut être le témoin que l’on peut former un seul corps, entre divers peuples professant la même Foi, entre diverses cultures, diverses langues, divers milieux sociaux, diverses fonctions ecclésiales.
Et c’est l’Esprit-Saint qui est l’âme de ce corps qu’est l’Église. On prend alors conscience de combien cette unité est vraiment le désir du Père. Qu’ils soient « un », prier Jésus, à son Père, au moment de la Cène, dans la prière sacerdotale que nous avons lue toutes ces semaines passées :
Cette unité est un témoignage. Mais, elle suppose une condition : la condition est que l’on accepte de se mettre ensemble sous le souffle de l’Esprit. Que l’on accepte de s’accueillir ensemble comme créature. S’il n’y a pas cela, il n’y aura pas d’unité.
On le voit parfois dans nos communautés, dans notre pays : chacun veut avoir le dernier mot, veut dominer, et être à la source de sa propre logique, sans se référer à Dieu. Ou s’il se réfère à Dieu, c’est pour justifier sa propre action, et non pas pour accueillir l’autre « différent » … Ce n’est pas facile de parler de l’Esprit-Saint. Nous ne le connaissons pas en tant que tel, mais, l’Apôtre Paul nous rappelle dans la deuxième lecture que son principal effet est la multiplicité de ses fruits. « Voici quels sont les fruits de l’Esprit : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi. » Voilà comment je sais que je suis mu par l’Esprit.
L’unité demande la transcendance, la présence de Dieu : l’unité dans nos communautés paroissiales, dans nos communautés religieuses, de se mettre ensemble, avec un cœur humble et confiant, sous le regard du Seigneur. L’unité dans les familles, c’est la prière en famille. Il ne peut pas y avoir d’unité ni d’action de l’Esprit-Saint lorsque l’on ne prie pas, car nous sommes livrés à nos psychologies blessées. La prière et la louange nous aident à ne pas nous laisser entraîner par nos susceptibilités et nos jalousies, car nous sommes guidés intérieurement par l’Esprit-Saint.
C’est ce même Esprit qui est présent chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, car nous nous réunissons en Son Nom. Comme pour chaque sacrement, nous invoquons l’Esprit. Invoquons-le alors sur nous-même pour avoir cette unité intérieure, parce que tout commence par là. Vivre de l’Esprit-Saint est donc un combat intérieur. Mais, ne nous décourageons pas. N’ayons pas peur de nous reconnaître pauvres face au Saint-Esprit afin qu’Il puisse agir en nous et modifier notre esprit. Il agira en nous selon notre façon d’aller vers Dieu.
Cet amour du Père et du Fils vient en nous-même pour nous faire accueillir l’unité qui est déjà présente. A nous d’y rentrer ! Dieu voit son Église comme une famille, c’est à dire un corps avec différents membres. Elle peut être ainsi un signe d’unité pour l’humanité, à condition que nous nous reconnaissions fils et filles d’un même Père.
Amen.
Père Dieudonné
Prieur du Bec