Tous autant que nous sommes, nous savons ce que le autres devraient faire et font mal, nous avons réponse aux questions que se pose la société, qu’elle-même ne parvient pas à résoudre, nous analysons parfaitement les problèmes du monde, qui semblent passer au-dessus de la tête des dirigeants les plus perspicaces…
Pareil dans nos communautés monastiques ! Ce qui veut dire qu’en chacun de nous se cache probablement un être d’exception, maire en puissance qui ne se déclarera jamais, coach ou DRH méconnu, économiste ou politicien génial dont le pays ne bénéficiera même pas…
Seulement, il n’y a que nous qui en sommes conscients et voyons clair ; les autres, à notre avis, sont aveugles, sauf sur nous, qu’ils regardent avec la même clairvoyance.
Pourquoi ce constat acerbe ? Parce qu’il est l’envers de l’exhortation de Paul aux Colossiens : « Puisque vous êtes élus, sanctifiés, aimés par Dieu, revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous les uns les autres, et si l’un a un grief contre l’autre, pardonnez-vous mutuellement ; comme le Seigneur vous a pardonnés, faites de même, vous aussi. »
Ici, plus question de jugement, d’exclusion, de rancœur, de suffisance, mais la décision d’aimer, de construire la paix, d’accueillir les différences, de travailler à l’unité. Pas en raison d’une recherche d’équilibre, d’harmonie, de bien-être, mais à cause du Christ qui s’est fait l’un de nous, pour nous associer à sa victoire sur le mal et la mort ; qui est venu chez nous, pour nous réconcilier avec Dieu et les uns avec les autres ; qui s’est abaissé jusqu’à la mort, pour nous élever avec lui dans la gloire et l’intimité du Père.
Ce n’est pas un idéal de moralité qui nous pousse à être des hommes et des femmes droits, justes, pacifiques ; c’est le don de l’Esprit, la lumière de l’Evangile, la grâce de Pâques qui nous recréent à l’image du Christ ressuscité et nous engagent, aujourd’hui, sur le chemin du Royaume des cieux.
Nous allons y croiser des pauvres, des estropiés, des exclus, des torturés, des égarés : ils sont le Christ. Nous allons nous-mêmes nous perdre, peiner, tomber, souffrir de la faim et de la soif : peut-être aurons-nous la grâce d’être reconnus par d’autres comme le Christ… Si vraiment le Christ est notre vie, si son Esprit nous éclaire et nous guide, si l’amour de Dieu est la sève qui coule en nous, nous ne pouvons plus regarder le monde, les autres, les événements, en juges, en spectateurs extérieurs et critiques ; nous ne pouvons plus analyser l’actualité et les situations, en détenteurs exclusifs de la vérité ; nous devons « revêtir les sentiments du Christ » devant la création de son Père, et avoir un cœur compatissant, bienveillant, humble, doux et patient, en un mot, « revêtir l’amour ».
La paix, que célèbre ce jour anniversaire de l’armistice de 1918, est une conquête quotidienne à réaliser d’abord en nous. Car, pour nous chrétiens, la paix ne consiste pas simplement à éviter les conflits, à respecter la justice, à œuvrer pour une saine répartition de la richesse ; elle est une grâce à accueillir et à partager, la grâce de la vie en Christ, la grâce de la Bonne Nouvelle de Pâques.
Ce que nous devons retenir du témoignage de saint Martin, c‘est que les belles phrases, les idées généreuses, que nous sommes tous capables de proclamer et de défendre en un tel jour, ne sont audibles et crédibles que si elles s’accompagnent d’actes d’amour et de vérité, de justice et de paix, de pardon et de compassion, comme le Christ, qui a donné sa vie pour que le monde vive et soit sauvé.
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec