L’évangile de la rencontre de Jésus avec la Cananéenne, nous enseigne que l’humilité touche le cœur de Jésus. Mais ce dialogue nous révèle surtout la profondeur du mystère de l’incarnation : Jésus, Dieu fait homme, découvre la mission que lui donne son Père à travers l’attente des hommes (et souvent des femmes) qu’il met sur sa route.
L’humble parole de la Cananéenne est un tournant dans sa mission jusqu’ici tournée vers les brebis perdues des enfants d’Israël. Son silence devant l’appel déchirant de cette païenne est le temps d’un discernement, l’événement d’un tournant décisif dans sa mission. Dans l’évangile selon Matthieu, Jésus avait limité jusqu’ici sa prédication aux seuls Juifs, au peuple élu, le dépositaire des promesses de Dieu dans les Ecritures.Et voilà qu’il voit, dans l’humble insistance de cette femme païenne, l’invitation de son Père à élargir son témoignage à toutes les nations, gratuitement et sans autre condition que d’accueillir en lui la Bonne nouvelle de l’Amour miséricordieux du Père pour tous ses enfants, tous pécheurs et pardonnés.
Les prophètes, comme Isaïe, avaient pressenti cette ouverture de l’Alliance à toutes les nations: « Les étrangers qui sont attachés au service du Seigneur, je les conduirai à ma montagne sainte et même l’Assyrie et l’Egypte précéderont Israël pour adorer Dieu dans son temple ». Mais les prophètes annonçaient ainsi la fin des temps, l’apothéose de l’accomplissement plénier, parfois entrevu.
Le récit de la libération de l’Egypte la nuit de Pâque contient la promesse de Dieu : « au passage des enfants d’Israël pas un chien ne jappera contre quiconque homme ou bête » (Ex 11, 7). Les rabbins commentaient ainsi : quand le Messie viendra dans sa gloire le ‘chien’ de païen lui-même sera honoré comme un ‘fils’ : la somme de ses lettres ‘caleb’ chien - n’a t-elle pas la même valeur numérique que celle de ‘Ben’ -fils - en hébreux ? Quand viendra le Messie tous deux auront la même valeur spirituelle.
Jésus connaît toutes les dimensions de l’espérance d’Israël et reconnaît que l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu lui est confié, pour Israël et les nations, et que les temps sont accomplis.
Aujourd’hui chacun et chacune de nous s’approche de Jésus avec la Cananéenne, portant dans son cœur le cri d’appel pour soi-même et pour ses proches. Allons à lui dans l’humilité de notre besoin et la confiance en sa personne : reconnaissons-le comme Seigneur de nos vies et nous communierons au mystère de son insondable miséricorde pour nous et pour tous.
Il se laisse toucher et bouleverser par la rencontre du cri du pauvre. Laissons-nous toucher comme lui par les autres sans les juger, mais en leur partageant avec respect le trésor de la foi, qui nous découvrira l’appel du Seigneur pour nous et pour tous. Nous pourrons entrer alors, au-delà de tout programme, dans la prière paradoxale qu’Etty Hillesum partage dans son journal « Une vie bouleversée » : « Ce n’est pas d’abord à toi de nous aider, Dieu. C’est à nous de t’aider, en défendant la demeure qui t’abrite en nous, sans gaspiller notre énergie aux soucis matériels, et peut-être contribuer à te mettre au jour dans le cœur des autres ».
Demandons à ce Dieu qui se laisse toucher, qui se donne en nourriture de vie éternelle dans cette eucharistie, de communier à son humilité pour recevoir de Jésus autant que nous en espérons en accueillant sa patience et sa douce charité, envers nous-mêmes et tous nos frères et sœurs en humanité.
Frère Jean Marie
Moine du Bec