Surtout, n’interprétons pas la réponse de Jésus à la question des Pharisiens et des Hérodiens sur le tribut dû à César comme le fondement de « la laïcité à la française »… Ce serait faire montre d’une affligeante étroitesse d’esprit.
Ici, Jésus cherche tout simplement à déjouer un piège. Mais, ce faisant, il nous rappelle que nous sommes tous tenus de remplir deux devoirs fondamentaux : le service de Dieu et celui de la cité, deux devoirs qui ne s’opposent pas, mais s’appellent l’un l’autre. Il parle évidemment à des croyants, qui, de plus, divergent sur le plan politique : les Pharisiens, considérant que l’occupation romaine est une punition permise par Dieu en raison des infidélités de son peuple, versent ce tribut, mais à contre cœur ; les Hérodiens, partisans d’Hérode, s’appuient sur les Romains pour garder un semblant d’autonomie, et payent ce tribut sans état d’âme, à la différence des Zélotes. Quoi que Jésus réponde, il pourra être dénoncé d’un bord ou de l’autre…
Le service de Dieu est premier, pour les disciples du Christ que nous sommes. Mais nous ne sommes ni des anges, ni des personnes seules ; nous vivons dans une société d’hommes et appartenons à une nation particulière ; nous avons des devoirs vis-à-vis des autres, des responsabilités à assumer pour la bonne marche de la société dont nous sommes membres. Vivre en retrait sous prétexte que le monde est mauvais n’est pas chrétien ; c’est une recherche de tranquillité, une évasion pure et simple. Jésus est venu dans un monde qui n’était pas meilleur que le nôtre, aujourd’hui ; il y est descendu pour y semer la Bonne Nouvelle de l’Evangile. L’amour de Dieu est un leurre, s’il ne s’exprime pas dans le service du prochain, dans un engagement concret vis-à-vis des autres.
Certes, il est difficile d’être témoin du Christ ressuscité dans les affaires de ce monde ; il est risqué d’être fidèle à l’Evangile, quand des décisions qui mettent en jeu le bien des personnes peuvent être contestées, voire refusées. L’Evangile donne rarement des réponses définitives aux questions de société qui se posent à nous ; mais il apporte tout de même un éclairage et des éléments de discernement qui doivent nous guider dans nos engagements et nos responsabilité, même s’il faudra toujours choisir entre plusieurs possibles.
Retenons de cet enseignement de Jésus que la terre est le lieu et le temps présents des semailles de l’Evangile ; que le service de Dieu passe par celui des hommes ; que s’il faut respecter les ordres, le ciel et la terre, dans le Christ ressuscité, se rejoignent, s’interpénètrent, se fécondent ; mais qu’ultimement, c’est Dieu qui achève avec nous son œuvre de création, c’est lui qui donne sens à toutes nos entreprises. S’arroger la place de Dieu est une imposture grave qui mène aux pires excès, et n’est pas si rare, dans nos sociétés à genoux devant la science et la technique.
Fr Paul Emmanuel
Abbé du Bec