On ne peut pas vivre une telle journée, de façon juste, sans l’inscrire dans l’actualité du monde. Or, cette année, le monde est profondément bouleversé par une pandémie dont il n’arrive pas à se défaire. Les hommes se croyaient tout puissants, étaient au bord d’égaler Dieu, en décidant de la vie et de la mort, et voilà qu’un virus, une toute petite chose insaisissable, vient tout enrayer, tout bloquer. L’argent, la technique, les armes, la science et même la philosophie avaient réponse à tout, mais se trouvent brutalement impuissants devant un microbe décelable au seul microscope… Et les hommes confinés, réduits à être par eux-mêmes, ce qui est très difficile, se posent mille questions.Jésus nous a prévenus : Ne mettez pas votre foi dans les princes (ps 146, 3) – Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout vous sera donné par surcroît ! (Mtt 12, 33) – Quel avantage l’homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? (Mtt 16, 26) Lui, Jésus, est venu précisément nous apporter le vrai bonheur, la vraie vie : Moi, dit-il, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. (Jn 10, 10)
Seulement, de quelle vie s’agit-il ? Au jeune homme riche qui lui demande quoi faire pour avoir la vie éternelle, il répond : Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis moi ! (Mtt 19, 21) Cette proposition est inaudible en Occident, où le confort, la richesse, le succès, le pouvoir, les sécurités de toutes sortes sont le signe du bonheur et la preuve d’une vie réussie. D’ailleurs, où son beau message a-t-il conduit Jésus ? A la mort, et quelle mort ! Comment adhérer à sa pensée, sans renier la culture ambiante de notre monde dit civilisé? Comment le suivre, sauf à se condamner soi-même à mourir ?
C’est pourtant ce à quoi nous invite Jésus : Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suis pas n’est pas digne de moi. Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera. (Mtt 10, 37-39) Ce qui veut dire que le Royaume des cieux est d’un tout autre ordre que celui des Etats de la terre ; que les ‘paradigmes’ qui régissent nos sociétés ne sont pas ceux du Royaume de Dieu. Mais alors, les disciples du Christ peuvent-ils vivre dans le monde, sans pactiser avec le plus trouble de lui ? Sont-ils condamnés à l’échec, au bannissement, à la souffrance ?
Jésus est venu sur terre, sans juger les hommes, sans mettre de conditions, sans se protéger des risques qu’allait susciter sa parole. Du dedans, c’est le sens de son incarnation, il a été semence de vie et nous demande d’être le ferment qui va la faire germer et lever. Le message du Vendredi Saint est là : au risque de nous salir, de tomber, de nous compromettre, nous sommes appelés à être témoins de l’ordre du Royaume, de ses valeurs, jusqu’à mourir, pour que l’Esprit de Dieu opère la transformation de toutes choses en Dieu, comme il a relevé Jésus de la mort. Car le bonheur de l’homme ne viendra pas de son industrie ; il vient de Dieu qui crée l’homme à Son image et le restaure dans le Christ ressuscité.
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du bec