Sainte Cène

Jeudi saint

Des noces Cana jusqu’au repas d’Emmaüs, saint Jean reconnaît et annonce le mystère de l’Eucharistie dans les paroles et les gestes de Jésus. Pour lui qui, dès les premières lignes de son évangile, confesse que le Verbe s’est fait chair (le mot désigne sa pleine humanité – Jn 1, 14), la plénitude du mystère du Christ se réalise dans la communion de l’homme à son Seigneur : Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. (Jn 6, 51)

L’Alliance éternelle de Dieu avec l’homme prend réellement corps dans la manducation de la chair du Fils de l’homme, sa chair et la manifestation de sa chair, sa parole. La symbolique du repas partagé et celle du sacrifice (le corps livré, le sang versé) signifie bien qu’il s’agit d’une alliance au sens le plus fort du terme : dans le Christ mort et ressuscité, nous devenons fils du même Père, frères universels, de la nature-même de Dieu.

La symbolique du repas partagé et celle du sacrifice (le corps livré, le sang versé) signifie bien qu’il s’agit d’une alliance au sens le plus fort du terme : dans le Christ mort et ressuscité, nous devenons fils du même Père, frères universels, de la nature-même de Dieu.

Pourtant, malgré sa vive conscience que l’Eucharistie est le cœur du mystère du Salut, Jean ne dit mot de son institution. Il parle bien du dernier repas de Jésus avec ses disciples, mais ne retient que le geste du Maître s’agenouillant au pied des Douze pour leur laver les pieds, avant de leur livrer son testament. Pourquoi ?

Jésus répond lui-même à cette interrogation, dans la parabole du jugement dernier (Mtt 25, 31-46) : Ce que vous avez fait au plus petit des miens, c’est à moi que vous l’avez fait.  Et Jean, dans ses lettres, précise : Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu », et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas… Celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. (1 Jn 4, 20-21) L’Alliance que Dieu a scellée avec nous est personnelle et communautaire, pas intimiste et individuelle. Avoir une piété eucharistique et mépriser ou ignorer ses voisins serait le signe d’une grave méprise sur le sens du mystère : comment pourrait-on être disciple du Christ, si on méprise ses membres ? Comment confesser son amour pour Dieu, tout en excluant ses enfants, ceux pour qui le Christ est mort ?

Le sacrement de l’Eucharistie et le sacrement du frère se tiennent étroitement : notre amour du frère est l’expression de notre amour pour le Christ et pour Dieu ; les deux sont indissociables, sauf à n’être que des mots vides. En relatant donc le lavement des pieds, Jean n’ignore pas l’Eucharistie ; au contraire, il nous en révèle le fruit premier, l’amour, dont la source est Dieu Lui-même et Son Envoyé, Jésus, le Christ. Allons plus loin encore : l’unité entre Chrétiens, entre nous d’abord, est le signe par excellence, le sacrement de l’unité du Père, du Fils, de l’Esprit. Nous laver les pieds les uns au autres, en comprenant ce geste dans toute son étendue (pardonner, compatir, être patient, s’entraider, être bienveillant, servir…), est le sacrement de l’amour de Dieu pour nous, pour tous, le sacrement de Son Alliance.

Que vaudraient notre célébration, ce soir, et notre adoration du Saint Sacrement, cette nuit, si elles n’induisaient pas cette conversion de notre cœur, jamais achevée, en ces semaines, surtout, où le monde malade, inquiet, à l’arrêt, se demande si le signe de Pâques n’éclairerait pas ses doutes et ses interrogations ? Que Ton amour, Seigneur soit sur nous, comme notre espoir est en Toi !(ps 32)

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du bec