Dimanche de la Toussaint 2020 Année A (Mt 5 1-12a)

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Catégorie : Homélies

Evangile

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.

Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »

Homélie

L’accusation portée à l’encontre du christianisme d’être l’opium du peuple, serait compréhensible, si on lisait l’évangile des béatitudes comme un éloge de la pauvreté, de la souffrance, des persécutions, de l’injustice, en somme une apologie du mal sous toutes ses formes.

Jésus ne dit pas « heureux les pauvres, car la pauvreté est un bien, ni heureux ceux qui pleurent, car il est bon de souffrir, ni heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car l’injustice les aguerrit… » Il dit « heureux les pauvres de cœur, parce que, mettant leur confiance en Dieu qui les aime, non dans leurs capacités personnelles ou leurs biens, ils possèdent déjà le Royaume des cieux ; heureux ceux qui pleurent, car aspirant à la paix et à la joie de Dieu, ils savent qu’en suivant le Christ jusqu’à la croix, en donnant ainsi sens à leurs épreuves, déjà, ils participent à sa victoire sur le mal et la mort… »

La pauvreté, les larmes, les persécutions sont des fléaux à combattre et à éliminer ; mais, dans le Christ ressuscité, les pauvres, les blessés de la vie, les persécutés sont promis et déjà associés à sa gloire.

Seulement, comment vivre à ce niveau de foi et d’espérance, quand la misère, les échecs, les persécutions vous accablent jusqu’à vous écraser ? Les béatitudes seraient-elles destinées à une élite ? la sainteté, qui est accueil de la miséricorde de Dieu, parce que les saints sont des pécheurs pardonnés, qui est communion à la Pâque du Christ, parce que la vie éternelle est pur don de la grâce de Dieu, (la sainteté) serait-elle l’apanage des âmes fortes qui ne se laissent pas abattre par les épreuves et ont la capacité de garder toujours la tête haute ? Tant pis pour les faibles, les petits, les déshérités de la vie qui ne pourront jamais transformer leurs souffrances en lieu et temps de grâce !

Mais il s’agit encore là d’une lecture erronée de l’évangile des béatitudes. Jésus dit bien : « heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, heureux les miséricordieux, heureux les cœurs purs, heureux les artisans de paix, heureux les persécutés pour la justice, heureux ceux qui sont insultés, maltraités, diffamés à cause de moi. » Tous ceux-là, qui ne peuvent se prévaloir de quelque mérite que ce soit, qui n’ont à présenter que leur indigence et leur détresse, sont l’objet de l’attention toute paternelle de Dieu, et c’est pour eux particulièrement que Jésus a donné sa vie.

N’a-t-il pas dit être venu pour les pécheurs et les petits, les ‘migrants’ et les ‘sans papiers’ ? N’a-t-il pas guéri, relevé, libéré ceux qui étaient au ban de la société ? Le bonheur promis aux laissés pour compte et aux derniers de classe n’est pas une consolation ou une compensation ; il est le pur effet de l’amour de Dieu pour les ‘anawim’, fragiles, marginaux, dépressifs, éternels retardataires.

A ce stade, naît un nouveau soupçon vis-à-vis de la foi chrétienne : n’est-elle pas la béquille des faibles ? Quand on est équilibré, en bonne santé, en paix avec soi-même et avec les autres, on n’en a pas besoin, elle ne sert à rien. La sainteté ne serait-elle pas alors le refuge des lâches et des velléitaires ? les béatitudes, dans ces conditions, ne sont pas une bonne nouvelle. Pourtant, le bonheur que Dieu nous promet n’est pas un petit bonheur : il s’agit du Royaume des cieux, de la vie éternelle, en comparaison desquels les paillettes du monde et les plaisirs à deux sous sont de bien maigres hochets, de la fumée… Non ! Les béatitudes sont chemin de vie pour les pauvres et les faibles que nous sommes tous, tous aspirant au bonheur durable et total que, seul, Dieu peut donner.

Accueillons le témoignage d’un homme de foi, le patriarche Athénagoras, un témoignage source, vibrant d’espérance : « Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors Lui efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. »

Frère Paul-Emmanuel
Abbé du Bec