le sens de la Toussaint

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Aujourd’hui encore, dans nos pays latins, la tradition veut que nous allions prier et déposer un chrysanthème sur nos tombes de famille. La Toussaint évoque pour nous le passé et nous plonge dans une certaine nostalgie, les feuilles jaunies de l’automne et la grisaille du ciel trahissant notre paysage intérieur rouge et or.

Une question que nous pouvons nous poser : « Et si la Toussaint était en fait et d’abord un acte d’espérance, une grande ouverture sur l’avenir ? »Qu’est-ce qu’un saint ? C’est un pécheur pardonné qui laisse la grâce de Dieu, sa miséricorde, se déployer en lui et autour de lui. Pas besoin d’être un héros, un être parfait, pour être reconnu et déclaré juste par Dieu : le publicain de la parabole de dimanche dernier nous le rappelait. Saint Paul, dans ses lettres, parle des baptisés, des disciples du Christ, en les appelant ‘vous les saints’. Est saint, donc, celui qui, baptisé dans la mort et la résurrection du Christ, se laisse conduire par l’Esprit et ne cesse d’implorer le pardon de Dieu pour son péché.

 

Le saint, selon l’Evangile, ne s’arrête donc pas à ses défaillances, à ses faux pas ; il est tendu vers sa destinée ultime, le Royaume des cieux, faisant concourir tout ce qu’il vit présentement à l’accomplissement de sa vocation à l’éternité. Dans sa marche vers le Royaume, il entraîne avec lui toute la création : il est, avec ses frères dans la foi, comme une semence ou un ferment d’éternité pour le monde.

 

Le saint n’est pas un être triste, renfrogné, coupé du monde, tel qu’on l’imagine facilement, un être auquel on n’a pas du tout envie de ressembler. Le saint, c’est peut-être mon voisin, ma voisine, un compagnon, une compagne de travail ou de loisir, qui a le cœur sur la main, l’oreille attentive aux besoins des autres, le regard toujours bienveillant et compatissant sur l’actualité environnante. Oui, l’amour de la perfection ne mène à rien, à l’orgueil, si, au jugement ; la perfection de l’amour, même quand il bute, se trompe ou hésite, découle de la sainteté de Dieu. Comprendre cela est très important, car là nous est révélé notre véritable destinée, le ciel, où, selon la description de saint Jean, dans l’Apocalypse, « une foule immense se tient debout devant le Trône (de Dieu) et devant l’Agneau, proclamant d’une voix forte : le salut est donné par notre Dieu, Lui qui siège sur le Trône, et par l’Agneau (le Christ). »

 

Le monde estime que cette perspective démobilise l’homme devant ses engagements, le rend inopérant dans ses entreprises, décrédibilise son discours… Mais c’est mal comprendre la foi chrétienne qui, au contraire, amène l’homme à considérer le temps présent comme l’ébauche du monde à venir, à faire de ses activités le signe de l’œuvre-même de Dieu. Plus l’homme soigne ses relations, son environnement, son travail, au nom du Christ, plus il rend le monde perméable à la grâce de Pâques, plus il prépare son avenir en Dieu. Quand Jésus dit que « le Royaume de Dieu est au milieu de nous », il ne dit rien d’autre que cela : la vision chrétienne de la vie, de la politique, de l’économie, des relations humaines est une vision sur le long terme, éminemment positive, libératrice, féconde et, élément très important aujourd’hui, ‘vertueuse’.

 

Naturellement, la foi chrétienne ne nous promet pas la richesse, le confort, l’estime des autres et tout ce que la publicité fait miroiter à nos yeux à longueur de jour. « Heureux les pauvres de cœur, nous dit Jésus : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! » C’est absurde et pervers, pense celui qui ne connaît pas la faim et la soif… Mais ne serait-ce pas la véritable sagesse, celle qui vient de Dieu, qui nous est révélée dans le Christ mort et ressuscité pour nous ? Vue sous cet angle, la sainteté de celui qui sème la lumière de Dieu autour de lui est source d’espérance, promesse de justice et de paix. pour la terre.

 

Mais les saints, les ‘vrais’, ceux du ciel, ne les oublions-nous pas, si nous nous arrêtons à la terre ? Non, la terre ne se comprend que dans sa relation avec le ciel, sa destinée. La communion des saints réunit en un seul mystère, l’Église de la terre et la foule immense des élus dont parle saint Jean. Ensemble, eux et nous, nous formons un seul peuple et rendons gloire à Dieu qui nous sanctifie tous dans le Christ. Soyons donc, ici, aujourd’hui, témoins de l’amour, de la sainteté de Dieu.

 

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du bec