« Vous êtes le sel de la terre , nous dit Jésus dans l’évangile. Comment accueillons-nous aujourd’hui cette Parole où Jésus, qui connait le cœur de l’homme, nous donne notre identité de chrétiens ?
Deux pensées – de raison et de foi – se lèvent naturellement en moi à l’écoute de cette parole.Le choc, d’abord, de l’analyse rigoureuse de Jérôme Fourquet que j’ai lue au réfectoire monastique – où il parle de ‘l’Archipel français, multiple et divisé’ marqué par la dislocation inéluctable de la matrice catholique et de beaucoup de valeurs qu’elle nous a transmises.
Ecartons nous déjà une erreur d’appréciation qui consisterait à ne nous baser que sur l’extériorité quantifiable au détriment de la qualité de notre présence au monde ?
Me vient le souvenir d’une homélie donnée ici au Bec sur l’évangile de ce jour par Mgr Sagna, illustrée par son expérience d’ évêque au Sénégal au sein d’un peuple avec 90 % de musulmans, où les chétiens sont très présents. J’en reprends une image marquante :’On célébre un mariage, nombreux sont les invités. Le repas est simple et copieux. On prévoit donc du riz en grande quantité que l’on prépare en y ajoutant … la même quantité de sel ! Cela ne va t il pas être infect et immangeable ? »
Or, c’est bien la qualité du sel que de donner saveur aux aliments, ce que Jésus souligne, comme une sagesse qui pénètre et donne goût à la vie.
Ainsi, le sel dont parle Jésus n’est pas un parfum qu’il suffirait d’enserrer dans le vase précieux de nos communautés pratiquantes pour y conserver des valeurs jusqu’ici véhiculées par l’évangile et qui menacent de se dissiper à tout vent.
Même si nous y parvenions en nous serrant les coudes, comment personnellement découvrir quelle est cette sagesse et en vivre dans le monde sans nous décourager ? En ce temps de bouleversement des valeurs, Jésus nous appelle à l’essentiel de la bonne nouvelle : le don que Dieu nous fait de la vraie sagesse pour donner sa saveur et être la lumière du monde.
La Bible sans cesse nous indique le chemin de la sagesse qui nous nourrit, comme le pain et le sel, depuis le prophète Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim et ta lumière jaillira comme l’aurore », jusqu’à la parole de Jésus, en saint Matthieu : »J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, car tout ce qui vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Partager le pain est le sacrement du don de soi. Nous entrons avec saint Paul dans la « sagesse du mystère de Dieu dévoilée dans le Christ donné, rompu, crucifié devenu pour nous le pain de la Vie ».
Le sel de la sagesse est L’Esprit de Dieu qui répand ses dons dans le pain partagé. C’est dans le don de nous-mêmes, avec le Christ, que nous devenons témoins de son amour et par lui, avec lui et en lui « lumière du monde », comme nous l’attesterons par notre Amen au sommet de la prière eucharistique, pour la gloire du Père.
Fr. Jean-Marie
Moine du Bec
