Nous fêtons la Sainte Famille. Nous avons des idées pour qu’une famille chrétienne s’épanouisse dans la paix et dans la joie. Ce qui est bien, mais cette réalité passe souvent par des échecs, des épreuves, des luttes.
Les personnes de la Sainte Famille ne vivent pas pour elles-mêmes, mais pour les autres et par les autres. Et il doit en être de même pour les familles d’aujourd’hui, y compris communautaires, monastiques ou autres…Dans le dialogue des Carmélites, la mère Marie de saint Augustin dit assez brutalement au médecin soignant la communauté qui pensait y rencontrer un lieu de paix et de tranquillité : « Notre maison n’est pas une maison de paix, Monsieur, c’est une maison de prière, les personnes consacrées à Dieu ne se réunissant pas entre elles pour jouir de la paix, elles tachent de la mériter pour les autres. On n’a pas le temps de jouir de ce que l’on donne ! »
N’est ce pas là un appel pour nous, chrétiens ? La parole que nous recevons, au prix souvent d’un combat, est faite pour être donnée. La garder pour soi et en jouir personnellement, c’est la laisser mourir. On n’entre pas en relation avec les autres, surtout nos plus proches, pour se sécuriser, mais pour fertiliser.
Tout ce que le Christ a vécu tout au long de sa vie, de sa naissance à sa mort à sa résurrection, se répète et s’inscrit dans la vie de toutes celles et ceux qui veulent le suivre. Et il faut tout une vie pour en prendre conscience.
Dans nos relations avec ceux qui nous sont confiés, il faut traverser des nuits avant d’accueillir la lumière de Dieu, une lumière qui passe et qui ne s’installe pas. C’est à ce prix que l’on peut convertir ce que l’on a vécu, ce qui nous a été révélé de la grâce de Dieu, en vie pour les autres.
Saint Paul, dans sa lettre aux Colossiens, exprime un souhait qui ne peut se réaliser dans le quotidien qu’au prix d’un combat contre l’égoïsme et l’orgueil : « Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement »
Perspective exaltante et belle mais terriblement exigeante. Et il ajoute : Par dessus tout, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait ! » Mais l’amour, c’est ce qu’il y a de plus difficile à vivre, ne disons pas à acquérir car l’amour ne possède rien, pas même l’amour. Et ce mot « amour » semble si usé, maltraité, mis à toutes les sauces dans la littérature d’aujourd’hui.
« Le drame de l’homme moderne, écrivait Kierkegaard, c’est de relativiser l’Absolu et d’absolutiser le relatif. » Réflexion profondément juste, car nous investissons souvent le meilleur de nous-mêmes dans ce qui passe et meurt, ce qui est superficiel et on passe souvent à coté de notre vie, du frère le plus proche. Personne n’est à l’abri de ce piège, pas mêmes les moines et les moniales. Nous devenons ce qu’on aime, ce qui nous fascine. Si c’est la face de Dieu que nous cherchons absolument, sa lumière brillera dans nos vies, nos regards. Si c’est le monde avec tous ses attraits, nous entrerons dans la grisaille, voire même l’obscurité de la mort intérieure parce que nous aurons sacrifié aux idoles.
Et justement dans les représentations de la sainte Famille dans l’art du Moyen Age, nous voyons Marie et Jésus blotti sur son sein, assis sur un âne. Joseph tient la lanière d’une main et de l’autre un couperet servant à détruire les idoles sur son passage, cette image faisant référence à Moïse avec son bâton à la main faisant face à Pharaon. Il y a, dans cette iconographie, un enseignement très profond qui nous incite à fixer notre attention sur tout ce qui ne meurt pas, sur Dieu seul, afin de n’être pas la proie des idoles que sont l’orgueil, l’argent, le sexe et autres…
Les fuites en Égypte existent toujours hélas ! Des exodes sillonnent le monde comme jamais cela n’a existé à une telle échelle : les catastrophes naturelles, les guerres, les attentats, la haine obligent des milliers de familles à quitter définitivement leurs proches, leur pays, sans rien emporter, en proie au racisme et au rejet.
Vivre par les autres et pour les autres, c’est l’enseignement de Jésus qui meurt sur la croix pour nous sauver. Et cette intensité de l’amour se vit encore aujourd’hui, heureusement. Je viens de lire le récit d’un homme, rescapé du camp de Birkenau. Il était musicien et nous savons que les nazis, passionnés par la musique, organisaient des orchestres avec les instrumentalistes du camp. Cet homme raconte qu’un dimanche où les musiciens jouaient en plein air pour les S.S, un des flûtistes, médecin de Toulouse, joue, ce jour-là, comme animé par une inspiration toute particulière : il est si occupé à phraser son air qu’il ne remarque pas la longue file de camions, chargés de femmes, qui se dirigent vers les fours crématoires…les camions ont disparu derrière un tournant, dans l’un deux se trouve sa fille.
Cette expression de l’amour, n’est ce pas le plus beau commentaire de l’évangile de ce jour ?
Fr. Michel
Moine du Bec