Nuit de Noël : homélie

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Quand Marie et Joseph, quarante jours après Noël, viendront présenter Jésus au temple, Luc écrira qu’ils furent accueillis par un homme juste et pieux, Syméon, qui attendait la consolation d’Israël.

Au même moment, une femme âgée, Anne, qui ne s’écartait pas du temple et à qui Dieu avait révélé le mystère de cet enfant, se mit à parler de lui à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem. (Lc 2, 22-38)

Une trentaine d’années plus tard, le même Luc, rapportant les débuts du ministère de Jean, le Baptiste, parlera du peuple qui était en attente et venait se faire baptiser, se demandant si Jean n’était pas le Messie. (Lc 33, 15)Cette attente durait depuis des siècles, depuis que Dieu avait élu un peuple, Israël, le préparant à accueillir, issu de lui, celui qui rassemblerait dans l’unité tous les peuples de la terre, pour en faire l’unique peuple de Dieu, réconcilié avec son Créateur et témoin de Sa miséricorde.

Mais au fil du temps, cette attente s’était dégradée, devenant politique, nationaliste, matérialiste : on attendait un chef de guerre qui chasserait l’occupant Romain et redonnerait son lustre au royaume de David et de Salomon. Bien peu espéraient la venue d’un envoyé de Dieu qui changerait le cœur de pierre du peuple, dur et vindicatif, en un cœur de chair, confiant en Dieu et compatissant envers les autres : Syméon et Anne étaient de ceux-là ; Zacharie, Elisabeth et Jean, leur fils, de même ; et bien sûr, Joseph et Marie.

Pour reconnaître le Messie de Dieu dans l’enfant pauvre de Bethléem, il fallait effectivement être juste, c’est-à-dire tourné vers Dieu et attendant tout de Lui ; il fallait aussi être pauvre, petit, comme l’étaient les bergers, les premiers témoins de la naissance du Sauveur (Lc 2, 10-12). Ce sera l’objet de l’action de grâce de Jésus, au chapitre 10ème de l’Évangile de Luc : « Je te bénis, Père ! Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu L’a révélé aux tout petits. » Les pauvres, en effet, les petits, n’ayant rien sur quoi s’appuyer, personne pour les soutenir, sont en capacité d’accueillir l’offre de Dieu : « Soyez sans crainte, dit l’ange aux bergers, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur. » (Lc 2, 10)

Qu’en avaient à faire ceux qui étaient repus, assurés du lendemain, certains de posséder la vérité et de tenir en main le sort des autres ? Un jour, Jésus s’écrira : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. » (Mt 11, 28-30) Le joug, c’est la Loi de Dieu, une Loi libératrice, la promesse d’un bonheur éternel.

Jésus, en effet, n’est pas venu restaurer le royaume d’Israël : « Mon Royaume n’est pas de ce monde, dira-t-il à Pilate, durant son procès. » (Jn 18, 3) Il n’est même pas venu résoudre nos problèmes ou nous éviter les accidents et les soucis ; il est venu au-devant de nous, quelle que soit notre situation, pour nous introduire avec lui dans l’intimité du cœur de Dieu. Voilà pourquoi il a choisi d’être pauvre, petit, pour nous rejoindre dans la vérité de notre être profond. Voilà pourquoi il est appelé Emmanuel, Dieu avec nous, puisqu’il demeure avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28, 20) Sa seule présence est bonne nouvelle pour aujourd’hui.

La question que nous pose la fête de Noël, si nous voulons la célébrer pour ce qu’elle est, est celle de notre attente. Attendons-nous un moment de quiétude et de plénitude, au milieu d’une vie agitée et dispersée ? Ou un espace de paix, dans le brouhaha des conflits qui font de notre terre un champ de bataille ? Ou une parenthèse qui nous fasse oublier, un instant, nos soucis ?

Non, Noël, c’est une bombe d’amour et de lumière au milieu des ombres de la concurrence et de l’individualisme qui brouillent nos relations ; c’est un cri de victoire, celle de la vie, sur les forces de mort que sont les lois de la finance et du profit ; c’est un traité inconditionnel de paix et de justice, au cœur des luttes d’influence et des conflits d’intérêts qui divisent les hommes. Noël, c’est Dieu-avec-nous qui fait de notre terre la porte de Son Royaume, de nos histoires, son entrée.

 

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec