saint Herluin 2020 (Jn 4, 7-16 ; Lc 10, 21-24)

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Catégorie : Homélies

Monition : En célébrant la fête de votre fondateur, nous célébrons la fidélité du Seigneur qui a béni et continue de bénir cette terre d’une abondance de grâces. La figure d’Herluin, inséparable de celle de Lanfranc et de celle d’Anselme, nous touche par sa fraîcheur, son humilité, sa piété.

Le Seigneur permet parfois que nous traversions des épreuves, que nous éprouvions de la peur ou des doutes. Mais l’Ecriture nous assure que la main de Dieu nous conduit, nous appelle à aller plus loin, plus profond, dans la confiance et l’abandon à la Providence. En ce jour de fête, rendons grâces à Dieu pour sa fidélité et pour le don de sa présence. Au début de cette célébration, demandons pardon au Seigneur pour toutes les fois où nous ne le reconnaissons pas, pour toutes les fois où nous fermons nos yeux, pour toutes les fois où nous doutons de sa présence à nos côtés, pour toutes les fois où nous sommes tentés de désespérer de sa miséricorde.


 

Évangile :

« Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint »

À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »

Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »

"Ce que le Père a caché aux sages et aux savants et qu'il a révélé aux tout-petits, c'est que nous sommes appelés à entrer dans la relation de communion, d'amour, qui existe entre le Père et le Fils."

Homélie

« À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. » (Lc 10, 21).

De ce magnifique passage d’évangile que nous venons d’entendre, permettez-moi de relever simplement deux éléments, ce matin, deux affirmations de Jésus qui sont comme des portes d’entrée dans le grand mystère de la foi.

* La première affirmation, c’est la Révélation aux petits. Dans ce passage, Jésus ne s’adresse plus aux foules ou aux disciples, il s’adresse à son Père, nous dévoilant, pour un instant, l’extraordinaire intimité qui les unit : une intimité faite de grande familiarité, mais aussi de délicate déférence. Saint Luc précise – à la différence de saint Matthieu dans le texte parallèle – que Jésus exulta « sous l’action de l’Esprit Saint » en disant ces mots. Or quelle est la cause de cette exultation ? C’est la découverte que ce sont les tout-petits qui reçoivent la Révélation de l’amour du Père. En disant cela, Jésus vient opérer un retournement inouï. Il était communément admis, dans le judaïsme contemporain du Christ, que la Révélation était confiée aux scribes, aux légistes, aux docteurs de la loi. Jésus affirme, au contraire, que ce sont les petits, les simples, les doux, les affligés qui reçoivent la Révélation du Royaume.

Or quel est le contenu de cette Révélation ? C’est que nous avons un Père, qui nous aime et qui nous appelle à entrer dans une relation d’amour avec lui, qui nous appelle à partager sa propre vie. Ce que Jésus nous dit, c’est que pour pouvoir accueillir cette bonne nouvelle, pour pouvoir entrer dans ce Royaume, il faut être doux et humble de cœur, il faut redevenir comme un enfant. Telle est la condition pour accueillir la Révélation : avoir un cœur d’enfant. L’enfant est dépendant, il est vulnérable ; mais aussi il s’émerveille, il a confiance, il se laisse aimer et il aime avec simplicité. Voilà l’attitude spirituelle à avoir pour accueillir la Bonne Nouvelle.

* Mais il y a une deuxième affirmation qui nous dévoile un mystère plus profond encore, et c’est que Dieu lui-même se fait petit. En effet, ce que l’homme ne pouvait imaginer, Dieu l’a accompli. Lui, le Créateur de l’univers et le Maître de l’histoire, il a rejoint sa créature et il est entré dans l’histoire. Lui, le Très-Haut, le Tout-Puissant, il est devenu le Très-Bas et le Tout-Petit. L’abaissement de Dieu a pris un réalisme inouï et inimaginable auparavant. Dieu s’est abaissé, il est venu, Lui, comme un tout-petit, dans la misère d’une étable. Dieu est devenu un enfant et s’est mis dans la condition de vulnérabilité et de dépendance totale qui est celle d’un être humain qui vient de naître. Le Créateur qui tient tout dans ses mains, dont nous dépendons tous, s’est fait petit-enfant.

Et il s’est abaissé plus encore. Descendu de sa gloire divine, il a revêtu les vêtements de l’esclave. Il est descendu jusqu’à nous, il s’est agenouillé devant nous, il nous a lavés les pieds pour nous permettre de participer à son repas pascal. En nous faisant don de son Corps et de son Sang, Jésus a anticipé sa mort et le don total de lui-même pour nous sauver. Il est descendu jusqu’aux enfers, jusqu’aux profondeurs de la mort et des ténèbres. Mais la main de Dieu l’a soutenu dans cette nuit, et il a pu ainsi se relever, il a pu ressusciter. Tel est le grand mystère de notre foi, le Mystère pascal, que nous ne cessons de célébrer dans la liturgie, et tout particulièrement en chaque Eucharistie.

Voilà donc la Bonne Nouvelle que nous annonce cet évangile. Si le Père se révèle aux petits, c’est parce que lui-même, en son Fils, a choisi de se faire petit. Avoir un cœur d’enfant, être tout-petit, ce n’est pas seulement une qualité humaine ; il s’agit d’une véritable configuration au Christ, au Fils de Dieu qui, comme un enfant, est totalement dépendant du Père, se reçoit totalement du Père. C’est ce qu’exprime cette deuxième phrase de l’Evangile : « Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler ». Il s’agit ici de la « connaissance » au sens biblique, c’est-à-dire une communion d’amour qui prend toute la personne, dans toutes ses dimensions, et qui ne se limite pas à une connaissance intellectuelle. Ce que le Père a caché aux sages et aux savants et qu’il a révélé aux tout-petits, c’est que nous sommes appelés à entrer dans la relation de communion, d’amour, qui existe entre le Père et le Fils. Voilà notre vocation. Et, cette vocation, nous l’avons reçue à notre Baptême.

Par le Baptême, le Christ nous a assumés en lui, afin que nous ne vivions plus par nous-mêmes, mais grâce à lui, avec lui et en lui ; afin que nous nous ne vivions pour nous-mêmes, mais pour lui qui est mort et ressuscité pour nous, et aussi que nous vivions pour les autres. Par le Baptême, nous avons été configurés au Christ qui, comme un enfant, est totalement dépendant du Père, reçoit tout du Père. À notre tour, par lui, avec lui et en lui, nous entrons dans ce mouvement de dépendance totale du Père, recevant de sa main la vie qui n’aura pas de fin. Par le Baptême, nous avons déposé notre vie entre les mains du Christ. Voilà pourquoi nous sommes toujours avec lui, voilà pourquoi nous ne sommes plus seuls, même dans la mort ; nous sommes avec lui, qui est toujours vivant.

Dans l’Incarnation, le Fils de Dieu s’est fait un avec l’homme, avec Adam. Mais c’est seulement au moment où il a accompli l’acte extrême de l’amour, en descendant dans la nuit de la mort, qu’il a porté à son accomplissement le chemin de l’Incarnation. Par sa mort et par sa Résurrection, il prend par la main Adam, tous les hommes en attente, et il les conduit à la lumière, à la vraie liberté.

Ces deux révélations que nous venons d’évoquer – l’accueil de l’amour du Père avec un cœur d’enfant et la participation au Mystère Pascal du Christ – sont particulièrement présentes dans la vie de l’abbé Herluin. La vie de votre fondateur, relatée par Gilbert Crepin, met en relief la simplicité, l’humilité et la douceur qui caractérisaient l’ancien chevalier, vassal du Comte Gilbert, devenu moine puis abbé d’une communauté qui devait, rapidement – grâce à Lanfranc, en particulier – devenir un foyer de science et de sainteté. Jusqu’à sa mort, Herluin demeura le serviteur fidèle, qui ne prenait nul ombrage de la science éminente de ses disciples, mais qui leur communiquait sa connaissance vitale du Père, puisée dans l’Ecriture et la prière continuelle. Par ailleurs, cette même Vita Herluini ne cache pas les durs combats que l’homme de Dieu Herluin eut à mener contre des ennemis extérieurs et intérieurs, mais dont il sortit toujours vainqueur par sa participation profonde à la victoire du Christ sur le mal et sur la mort.

En ce jour, demandons au Seigneur la grâce de la joie profonde du cœur, celle qui vient de l’Esprit Saint et qui nous comble quand nous restons petits, cachés, abandonnés dans les bras du Père, dans une confiance absolue en sa Bonté et en sa Miséricorde.

dom Jean-Charles Nault
Abbé de Saint Wandrille