Dimanche 16 avril :
Ici est posée la question de la stabilité qui est un des trois vœux propres à la vie monastique et par lequel nous nous engageons à vivre dans un monastère, attachés à une communauté précise. Toutefois l’histoire monastique a montré, et ce fut, à partir du Xe siècle, le cas pour Cluny, comme pour la Congrégation de Saint Maur au XVIIe siècle ou celle de Mont-Olivet encore aujourd’hui, que la stabilité était vécue, non dans une communauté, mais dans la congrégation, avec possibilité de transférer un moine d’un monastère à un autre. Ce pouvait aussi être le cas de certains moines gyrovagues qui cherchaient la stabilité. Et saint Benoît envisage ce fait, mais comme un cas individuel, lorsqu’un moine, venu d’un monastère, demande à se fixer dans une autre communauté. Dans ce cas, saint Benoît conseille même que : « non seulement, s’il le demande, on le recevra pour l’agréger à la communauté, mais il faut le lui conseiller pour que les autres s’instruisent à son exemple », à condition qu’il soit capable d’édifier, et en accord avec son ancien supérieur.
Cependant ces changements peuvent présenter des risques pour les frères insuffisamment éprouvés par la vie commune. C’est ce que saint Anselme écrivait à un novice nommé Lauzon et qui voulait changer de monastère en lui recommandant au contraire de demeurer dans sa communauté et « d’y prendre racine car un arbre qu’on déracine pour le planter ailleurs risque de dépérir ».
Notre enracinement doit se faire dans le Christ ressuscité, sachant qu’en tout lieu, comme nous le rappelle saint Benoît, on sert un unique Seigneur, que ce soit dans une communauté, en famille ou en tout autre lieu de vie sociétal.CHAPITRE 62 : DES PRÊTRES DU MONASTÈRE.
Lundi 17 avril :
Lorsqu’on s’engage dans la vie monastique, c’est la profession qui en est l’acte essentiel ; par les vœux, nous contractons une alliance avec le Seigneur que nous voulons servir pendant toute notre vie. Nous Lui disons alors, devant toute l’Église, communauté et fidèles réunis : « Accueille-moi Seigneur, selon ta volonté, et je vivrai ».
Le sacerdoce ne doit pas être systématique pour un moine, et si nous le recevons, ce n’est pas pour exercer un ministère qui nous ferait échapper aux exigences de la Règle. Aussi saint Benoît met en garde celui qui, devenu prêtre, cèderait à la vanité et à l’orgueil et n’obéirait plus à la Règle.
Au contraire, le sacerdoce exige du moine une plus grande obéissance à la Règle et à la discipline. Cette obéissance ne doit pas être subie, vécue comme un fardeau, mais au contraire, elle doit être accueillie comme un appel à une plus grande générosité, à un don total de soi au Seigneur et à ses frères. Le sacerdoce est essentiellement un service qui demande humilité et charité, et ce serait faire fausse route que de le considérer comme une promotion et un prétexte à ne plus obéir ; au contraire !
CHAPITRE 63 : LES RANGS DANS LA COMMUNAUTÉ.
Mardi 18 avril :
On pourrait voir dans cette question de rangs dans la communauté une simple question d’ordre, surtout lorsque la communauté est nombreuse. Mais même si la communauté est petite, il peut y avoir le risque d’en rester à des considérations trop humaines, si non mondaines, et de se laisser aller à des querelles d’amour propre, si tel ou tel ne respecte pas sa place d’entrée.
N’oublions pas que nous sommes tous au seul service du Christ, donc tous frères, car la priorité reste bien le respect mutuel. L’usage de garder l’ordre d’entrée ou la place déterminée par l’abbé, pour des raisons sérieuses et non arbitraires, est la règle communément admise qui doit favoriser la paix dans la communauté. Rappelons-nous les instruments des ‘’Bonnes œuvres’’ au chapitre 4 : « Honorer les anciens et aimer les jeunes ». Donc le respect et la charité doivent être à la base de notre vie communautaire. Dans notre vie quotidienne, nous participons déjà à la Création nouvelle, grâce à la Résurrection de Jésus.
Mercredi 19 avril :
Saint Benoît insiste dans ce chapitre sur le respect que les frères doivent avoir les uns pour les autres. Et le fait de respecter l’ordre d’entrée dans le monastère, ou l’ordre établit par l’abbé, n’est pas pour susciter de la vanité ou de l’amour propre ; ce serait alors qu’on resterait trop attaché à une conception mondaine des relations entre nous. Parce que ce qui constitue l’être véritable du moine, c’est l’appel qui nous a amené ici, la vocation qui a fait de nous un frère. « Cela ne dépend pas de nous, comme le dit saint Paul, c’est un don de Dieu, nous n’avons pas à en tirer orgueil (Ep. 2,8) ».
Ni l’âge, ni nos charges dans la communauté, ni le sacerdoce ne peuvent changer cela. Notre être a été engendré, constitué par Dieu, lorsqu’il nous a appelés par notre nom. Ainsi, la place que nous occupons n’est ni un privilège, ni le résultat de quelques mérites, mais bien un don de Dieu. D’une certaine manière, chacun de nous a l’âge de son entrée.
Notre modèle, c’est le Christ qui s’est fait notre serviteur et qui nous invite à nous dépouiller de nous-mêmes pour nous ouvrir à nos frères, afin de rester attentifs à leurs besoins et à nous servir mutuellement. On sait aussi qu’en nous servant mutuellement, c’est le Christ que nous servons puisque nous le reconnaissons en eux, comme nous le reconnaissons dans l’abbé dont il tient la place. Et le fait de voir le Christ en chacun de nous doit nous établir dans la paix et la charité.
CHAPITRE 64 : DE L’ORDINATION DE L’ABBÉ.
Jeudi 20 avril :
Dans ce chapitre, saint Benoît traite du choix d’un abbé pour sa communauté. Et trouver le candidat idéal est difficile ; qui peut prétendre avoir toutes les qualités requises pour cette charge ? C’est l’Esprit Saint qui, comme pour toute élection à une charge dans l’Église, doit éclairer la communauté dans son choix. Au début de ce chapitre, saint Benoît relève deux qualités indispensables pour élire le bon candidat : « le mérite de sa vie et sa doctrine de sagesse », et il développera ces qualités dans le portrait de la deuxième partie de ce chapitre.
Mais ici, il veut mettre en garde contre le choix d’un mauvais candidat dont seraient complices ceux qui l’auraient élu. Il faut croire que saint Benoît a été témoin de telles situations, comme cela est malheureusement arrivé dans l’histoire. Dans ce cas, l’Eglise, par l’évêque, d’autres abbés ou même des chrétiens du voisinage, doit intervenir, car une élection n’est pas une affaire uniquement privée, ne regardant que la communauté ; un monastère n’est pas une entité autonome, il fait partie de l’Église, et même s’il ne relève pas directement de l’évêque, le monastère est inséré dans un diocèse où il exerce un certain rayonnement sur les chrétiens d’alentour. Il importe donc que la communauté, et donc son abbé, donne un bon témoignage à l’Église locale et à tous ceux qui viennent au monastère.
Nous devons toujours garder conscience d’être d’Église. Nous ne sommes pas au-dessus des autres chrétiens ; nous avons, au contraire, à les soutenir par la prière, tout en restant simplement à notre place.
Vendredi 21 avril, solennité de saint Anselme :
Saint Benoît donne ici un portrait de l’abbé idéal dont il détaille toutes les qualités qu’on peut attendre de lui, et dont un des traits principaux qui en ressort est la miséricorde.
On peut trouver une illustration de ce portrait en saint Anselme que nous fêtons aujourd’hui. Il a été fidèle toute sa vie à sa vocation monastique qui s’est épanouie au Bec et à laquelle il a toujours répondu généreusement dans l’exercice de toutes ses charges ecclésiales : à l’abbaye du Bec d’abord, comme prieur, puis comme abbé, et ensuite comme archevêque de Cantorbéry. Il a aussi toujours eu le souci de ceux qui lui étaient confiés : les moines du Bec auxquels il est resté attaché même lorsqu’il était archevêque, puis les fidèles de son diocèse de Cantorbéry pour qui il s’est donné totalement en défendant la liberté de son Église au prix de sa propre liberté.
CHAPITRE 65 : DU PRIEUR DU MONASTÈRE.
Samedi 22 avril :
Le chapitre sur le prieur décrit une situation de crise. Cette crise consiste en un conflit d’autorité dans le cas où le prieur est nommé ou élu par ceux qui ont choisi l’abbé. Le prieur, qui est le second de l’abbé, est appelé à exercer son service dans l’obéissance et l’humilité. Et si le pouvoir lui ‘’monte à la tête’’, il tombe alors dans l’orgueil et se pose ainsi en rival de l’abbé. La communauté se trouve alors divisée et ne peut que souffrir durablement de cette situation.
Il est facile de comprendre que la source de la paix dans une communauté est son unité. Dès lors qu’il y a des rivalités entre les personnes, et à plus forte raison entre celles qui exercent l’autorité, c’est la division assurée dans la communauté. Et saint Benoît ajoute : « Tandis que l’abbé et le prieur sont dressés l’un contre l’autre, leur âme périclite nécessairement, et leurs subordonnés vont à leur perte ». Le prieur se croyant dispensé de l’obéissance due à son abbé, on voit comment celle-ci entraine la division et fait le jeu du Malin.
Nous sommes disciples du Christ ; il doit rester seul notre maître et modèle et c’est Lui qu’il faut suivre et servir. « Le Fils de l’homme est venu pour servir et non pour être servi » nous dit Jésus peu avant sa Passion, en ce moment précisément où nous revivons le mystère pascal.
Frère Claude
Prieur du Bec