Vigile des Béatitudes

Publié le

Catégorie : Archives

Jésus vient de passer la nuit à prier Dieu, dans la montagne. Le jour venu, il appela ses disciples et en choisit douze… Descendant avec eux, il s’arrêta sur un endroit plat avec une grande foule de ses disciples et une grande multitude du peuple… Alors, levant les yeux sur ses disciples, il dit : Heureux, vous les pauvres… (Lc 6, 12… 26)Le parallèle est frappant, entre Moïse, recevant de Dieu, sur le Mont Sinaï, les dix paroles, et descendant communiquer au peuple les clauses de l’Alliance (cf. Gn 34, 29 et ss) et Jésus nous communiquant, ici, la charte de la Nouvelle Alliance. Ces quatre béatitudes et les quatre plaintes qui les suivent, totalement symétriques, mais en antithèse, sont donc comme le fondement de l’Évangile du Salut.

Mais il ne s’agit pas, pour Jésus d’édicter une loi qui s’imposerait de l’extérieur, justifiant les uns et condamnant les autres ; il s’agit plutôt d’une exhortation, pour tous, à se disposer à accueillir la grâce de la vie. Les pauvres, ceux qui ont faim, qui pleurent, et qui, souvent, sont méprisés, proscrits, sont, de ce fait, réceptifs à la Bonne Nouvelle du Salut en Christ ; ils possèdent déjà la récompense promise à ceux qui espèrent leur délivrance : Le Royaume de Dieu est à vous.

Les riches, ceux qui sont repus, qui rient, et qui ont la faveur des hommes, se suffisent, n’ont pas besoin de Dieu et sont persuadés qu’ils peuvent par eux-mêmes gagner le ciel. Notons que Jésus ne maudit pas cette dernière catégorie d’hommes ; il laisse échapper comme une plainte qui est en même temps un appel pressant à la conversion : si vous saviez le malheur que vos richesses vous réservent !

 

Certes, on a souvent trahi la pensée de Jésus, en interprétant les Béatitudes comme une incitation à la démission, au fatalisme, au défaitisme, une condamnation de tout bonheur humain. La formule « la religion opium du peuple » résulte de cette lecture : Résignez-vous à souffrir, maintenant ; votre récompense, dans l’au-delà, sera d’autant plus grande que vous aurez été éprouvé sur cette terre

Ce n’est pas sain du tout, c’est même pervers ! Jésus ne fait pas l’éloge de la misère et de la souffrance : il a guéri, délivré, remis debout ceux qui le suppliaient d’avoir pitié d’eux, en confessant son nom de Fils de Dieu ; il nous dit que le manque peut nous établir dans l’attente de son Salut, mais que l’opulence risque de nous fermer à sa grâce ; il a donc été jusqu’au bout de son œuvre, en nous révélant le chemin de la vie, du bonheur vrai et durable, et en nous dévoilant les impasses et les illusions où conduisent le confort et la satiété.

Les béatitudes sont donc pour nous un appel à investir dans les vraies richesses : l’amour, le partage, la miséricorde, la compassion, le pardon, la justice, la paix ; un appel à lutter contre le mal et ce qui y conduit. Il s’agit là de décisions à prendre librement et quotidiennement.

Face à tout ce qui nous arrive, à tout ce qui se présente, l’adversité comme la prospérité, la contrariété comme la satisfaction, nous pouvons choisir de vivre en enfants de Dieu, en frères et sœurs du Christ, car le vrai bonheur nous est donné quand nous marchons conduits par l’Esprit, et, quoi qu’il arrive, restons confiants en la grâce vivifiante et recréatrice de Pâques, assurés de l’amour indéfectible de Dieu.

On peut donc souffrir, manquer, peiner, et, confessant que notre secours est dans le nom du Seigneur, goûter la joie de vivre dans le Christ, recréés dans sa Pâque.

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec