CHAPITRE 7 : DE L’HUMILITÉ (suite).
Dimanche 30 mai :
Lorsqu’il est question de la crainte dans ce premier degré d’humilité, il y a d’abord la crainte de Dieu qui est une invitation à la vigilance, à la garde de ses pensées et de ses désirs, pour demeurer dans la fidélité à Dieu. Il y a aussi la crainte du mauvais désir qui conduit à la mort.
Mais comme le dit l’apôtre Paul dans l’épitre aux Romains que nous avons entendu à la messe de la Sainte Trinité aujourd’hui, si nous nous laissons conduire par l’Esprit de Dieu, nous serons fils de Dieu. Car nous avons reçu un Esprit qui fait de nous des fils, et non des esclaves soumis à la peur. C’est pourquoi, si nous vivons en présence du Seigneur, nous vivons comme des fils; notre obéissance est une obéissance filiale.
Nous vivons dans une relation d’amour et de confiance, et non de maître à esclave. Cette obéissance nous conforme à celle du Fils, une obéissance d’amour qui passe par le mystère de Pâques. C’est ce même passage par la souffrance avec le Christ qui nous donne accès à sa gloire et qui nous fait hériter de la vie éternelle.Lundi 31 mai :
Le deuxième degré d’humilité se réfère directement à Jésus qui est le modèle parfait de l’obéissance. Il n’est pas venu faire sa propre volonté, mais la volonté de celui qui l’a envoyé, son Père. La parole de Jésus citée ici est tirée du discours sur le Pain de vie. Mais cette même déclaration revient plusieurs fois dans l’évangile de Jean. Elle provient du Psaume 39, cité dans l’Epitre aux Hébreux.
En cette fête de la Visitation, nous avons avec Marie, un exemple de docilité à la volonté divine. En accueillant la parole de l’ange à l’Annonciation, elle s’est engagée sans retour. Sa mission est de donner au Fils de Dieu son humanité pour qu’il puisse rejoindre les hommes et faire la volonté du Père. En nous engageant à la suite du Christ, nous renonçons à notre volonté propre pour accomplir celle de Jésus. Nous n’appartenons plus à nous-mêmes, mais à lui.
Mardi 1er juin :
Dans le petit paragraphe d’aujourd’hui, le troisième degré d’humilité se confond avec l’obéissance dont la parfaite expression est donnée par le Christ lui-même.
Saint Benoît cite ici le texte si connu de l’Epitre aux Philippiens : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort (Ph. 2,8)». Ce texte, qui est un cantique ancien, est repris plusieurs fois au cours de la Semaine Sainte où il prend tout son sens.
L’humilité-obéissance nous identifie au Christ qui s’abaisse jusqu’à mourir. Il s’offre par amour pour son Père qui ne l’abandonne pas mais le relève de la mort. Il l’exalte et le fait Seigneur. Son amour s’étend à tous les hommes. Ainsi, par l’humilité vécue par amour pour Dieu, et à la suite du Christ, nous élargissons notre cœur au lieu de le réduire. L’obéissance nous conforte dans l’amour.
Mercredi 2 juin :
Le quatrième degré d’humilité est, après le premier, le plus développé. Il y est question des circonstances dures et rebutantes, des contradictions, et même des injustices, ce qui n’est pas sans rappeler la mise à l’épreuve du candidat à la vie monastique. D’ailleurs, si saint Benoît insiste sur ces humiliations, ces difficultés que peut rencontrer le débutant, c’est pour, en quelque sorte, l’avertir qu’on peut les retrouver tout au long de la vie monastique.
Bien sûr, il n’y a pas que cela ; il y a aussi des jours heureux, mais les aspérités font partie du chemin. Et on peut subir des humiliations, des contradictions, des injustices, à n’importe quelle période de la vie monastique. Il ne faut pas s’en étonner, mais les accepter avec patience, même si ce n’est pas évident ! Il faut les porter dans la prière comme nous y invite saint Benoît de façon indirecte. En effet, il cite plusieurs psaumes. Il fait aussi référence à l’évangile et aux épitres. Les psaumes sont des prières, souvent des prières de pauvres, parfois de persécutés vivant dans les humiliations. Les évangiles nous redisent l’enseignement de Jésus, et surtout nous rappelle son attitude pendant sa Passion.
Mais ce n’est pas l’humiliation pour la souffrance qui est à rechercher. Au contraire, son acceptation doit nous ouvrir à la joie promise par Dieu. Elle nous rend participant du mystère de mort et de résurrection. Comme les martyrs dont nous faisons mémoire ces jours-ci ont fait preuve de sérénité dans les supplices, car ils attendaient la joie éternelle, dans l’obéissance et l’humilité, nous gardons l’espérance de la victoire finale.
Jeudi 3 juin :
Le cinquième degré d’humilité concerne l’aveu des fautes et des pensées. Nous sommes tous pêcheurs et quelque fois, nous avons des tempêtes intérieures : les pensées se bousculent (rancunes, colère, jalousie, etc.) Il nous faut les reconnaître et les avouer.
Le fait de les avouer, c’est déjà poser un regard objectif sur elles, donc s’en détacher. Les remettre au Seigneur permet de s’en défaire, si non on y reste attaché et elles reviennent sans cesse. Et en même temps, les remettre au Seigneur, c’est faire confiance en sa miséricorde. Les trois citations bibliques de saint Benoît dans ce passage font le lien entre l’aveu de la faute et la bonté du Seigneur, sa miséricorde et son pardon.
Même si l’on retombe, le pardon du Seigneur permet de repartir, d’avancer sans être alourdi par le poids de la faute ou des pensées mauvaises.
Vendredi 4 juin :
Si on lit ce sixième degré d’un point de vue simplement humain, on pourrait le trouver scandaleux, révoltant, en n’y voyant que l’anéantissement de la personne, son écrasement. Ce serait nier la valeur de chacun, alors qu’aujourd’hui, on cherche à promouvoir son épanouissement. C’est comme si on idéalisait la négation de ses dons, de ses capacités.
La façon dont saint Benoît s’exprime pourrait le laisser croire. Mais si on regarde attentivement, avec les yeux de la foi, on s’aperçoit que le moine, reconnaissant ses limites, ses faiblesses, n’est pas seul. Même s’il se reconnait sans valeur, il sait que le Seigneur est près de lui. Cet état de faiblesse, d’anéantissement, ressenti comme réel et non exprimé de manière artificielle pour se mettre en valeur – ce serait alors de l’hypocrisie – est l’occasion de mettre sa confiance en Dieu qui vient au secours de celui qui est accablé.
La citation du psaume 73,22 que donne ici saint Benoît le montre bien : « Moi, stupide, je ne comprenais pas ; je suis devenu comme une brute devant toi. Et c’est toujours moi près de toi, toi qui m’a saisis par ma main droite ». Ainsi, dans les situations les plus désespérées, Dieu se fait proche. La véritable humilité est fondée sur la foi et sur l’espérance.
Samedi 5 juin :
Dans le septième degré d’humilité, saint Benoît rappelle ce qu’est la véritable humilité, celle qui est sincère, qui vient de cœur. Ce n’est pas seulement de se dire humble pour attirer la bienveillance d’autrui ou sa considération.
L’humilité vraie nous rapproche du Christ, en particulier du Christ souffrant, comme en témoigne les deux psaumes cités par saint Benoît : psaumes 21 et 87. Ces psaumes du juste persécuté, anéanti, ont leur place dans la liturgie du Vendredi Saint et s’appliquent particulièrement au Christ souffrant sa Passion. L’humilité nous identifie bien au Christ dans son mystère pascal.
On peut rapprocher ce septième degré de l’évangile d’aujourd’hui (Marc 12, 38-44) avec la mise en garde de Jésus contre les scribes qui recherchent les premières places et dévorent le bien des pauvres, et l’obole de la veuve qui a tout donné ce qu’elle avait pour vivre. D’un côté l’ostentation de certains religieux ; de l’autre le don humble et total de sa vie.
Père Claude
Prieur du Bec