Introduction :
En célébrant la fête de votre fondateur, nous célébrons la fidélité du Seigneur qui a béni et continue de bénir cette terre d’une abondance de grâces. La figure d’Herluin, inséparable de celle de Lanfranc et de celle d’Anselme, nous touche par sa fraîcheur, son humilité, sa piété.
Nous savons que Dieu nous aime, qu’il nous aime infiniment, personnellement, chacun, chacune. Notre vie monastique veut être, bien simplement et bien pauvrement, un témoignage de cet amour gratuit de Dieu pour le monde.
Alors, en ce jour de fête, rendons grâces à Dieu pour sa fidélité et pour le don de sa présence. Au début de cette célébration, demandons pardon au Seigneur pour toutes les fois où nous ne le reconnaissons pas, pour toutes les fois où nous fermons nos yeux, pour toutes les fois où nous doutons de sa présence à nos côtés, pour toutes les fois où nous sommes tentés de désespérer de sa miséricorde.Évangile :
« Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint »
À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »Homélie : (Pv 2, 1-9 ; 1 Jn 4, 7-16 ; Lc 10, 21-24)
Pour rencontrer Jésus, et le reconnaître, on peut s’y prendre de multiples façons. Toutes, cependant, n’aboutissent pas. Jésus lui-même nous le rappelle : « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler ». Pour celui qui, cependant, a reçu un jour cette révélation, le chemin paraît tout simple et sans problème : « Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos ».
Ce chemin est unique, il n’y en a pas deux ; et c’est le même chemin que Jésus a parcouru le premier, le seul sur lequel désormais il puisse être rencontré : le chemin de l’abaissement et de l’humilité. Un chemin étonnant, puisqu’il s’identifie au dessein de la miséricorde de Dieu. Surabondance d’amour qui s’élance et s’abaisse pour rejoindre le pécheur et le sauver au cœur de la mort. Chemin de miséricorde et dessein d’amour qui se prolongent jusque dans l’homme qui, lui, à son tour, ne peut plus jamais reconnaître Jésus, à moins de s’être engagé, en personne, sur le même chemin de l’humilité et de l’abaissement.
Lorsque, dans sa prière, Jésus s’en souvient devant son Père, il tressaille d’allégresse et entonne une solennelle eucharistie : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. » (Lc 10, 21).
Beaucoup de sages et de savants ont essayé de rencontrer Dieu ou de prendre la mesure de Jésus, mais en vain. Car ils ne l’avaient pas cherché sur le chemin qui puisse donner accès à lui : l’abaissement et l’humilité. Nous aussi, aujourd’hui, nous pouvons être tentés de définir Jésus d’après sa grandeur et son excellence humaine. Nous voudrions voir et admirer en lui l’homme, un homme tellement parfait qu’il nous révélerait quelque chose de Dieu.
Et certes, Jésus est bien l’homme parfait, transfiguré par la lumière de Dieu, enveloppé de sa gloire. Mais il l’est, non pas parce que, en tant qu’homme, il aurait, à un moment donné, dépassé et transcendé les limites de son humanité. Bien au contraire, il l’est lorsque, paradoxalement, dans son humanité même, il s’est abaissé, a été compté parmi les pécheurs, et cela jusqu’à la mort, et la mort de la Croix.
Jésus n’est pas un héros ni un surhomme. Il est un homme tout court, mais qui se révèle aussi Dieu dans l’humiliation, dans l’abaissement et dans la faiblesse : cette admirable et merveilleuse faiblesse de Dieu dont saint Paul dira qu’elle est plus forte que toute force d’homme (1 Co 1, 25). Ainsi, toute la force de Jésus est dans la douceur et l’humilité de son cœur : « Prenez sur vous mon joug… car je suis doux et humble de cœur ».
Pour connaître Jésus, il faut donc quitter les chaires des sages et de savants, et s’abaisser avec Jésus, le suivre sur ce chemin de la douceur et de la faiblesse. Là est la lumière ; là est le repos ; car là est Jésus. Même si nos certitudes s’y cachent derrière le doute ; pourtant, la grandeur de l’homme se révèle dans le plus pauvre et le plus petit ; et Dieu finit par se servir de nos péchés mêmes pour nous revêtir de sa propre sainteté.
Il faudra encore suivre Jésus là où il se révèle pleinement et donne toute sa mesure d’homme et de Dieu : à la dernière place, dans le rejet et dans la mort. C’est là, en effet, dans le lieu de l’extrême faiblesse et du dernier abaissement, que Jésus a conduit l’homme à son achèvement. C’est là aussi qu’enfin nous connaîtrons vraiment Jésus et que toute notre joie sera en lui : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ».
Car l’ennemi de notre repos, ce n’est ni la recherche, ni le travail et l’ascèse, mais c’est notre propre cœur, qui se gonfle et se raidit, en ramenant à lui ce qu’il a reçu d’un autre. Seul l’humble, seul le doux, seul le pacifique peut trouver le repos au milieu des soucis de la vie, lui seul peut vivre en parfaite quiétude, alors même qu’il semble ployer sous les tâches et les obligations les plus écrasantes. Car son repos n’est pas son œuvre, il ne vient pas de lui, mais de Jésus qui, seul, peut nous procurer le repos véritable.
N’est-ce pas ce que notre Père saint Benoît ne cesse de nous rappeler dans sa Règle ? L’itinéraire tracé par l’échelle de l’humilité n’a de sens que parce que, le premier, Jésus l’a emprunté. C’est le chemin des doux et des humbles, celui des tout-petits. Jésus nous invite à le suivre ; plus encore, il veut revivre, en chacun et chacune de nous, ce mystère de salut qui nous est offert gratuitement. En entrant dans ce chemin à sa suite, en le laissant revivre en nous son Mystère pascal, nous choisissons, nous aussi, la route de la liberté, le « vrai sentier qui mène au bonheur ».
Car ce chemin, nous dit encore Benoît, aboutit à l’amour parfait, celui dont saint Jean nous disait, tout à l’heure : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés » (1 Jn 4, 10).
Notre monde a un besoin urgent de douceur, de celle dont Jésus nous dit qu’elle obtient la terre promise. Benoît insiste sur la délicatesse des relations fraternelles au sein du monastère : des relations faites d’honneur, de respect mutuel, de politesse et d’oubli de soi. Que Dieu nous accorde la grâce d’être, à notre place, des artisans déterminés et heureux de la douceur. Votre fondateur, que nous fêtons en ce jour, a été l’homme de la simplicité, de la douceur et de la paix. Tous, rapporte son biographe, admiraient son désir de simplicité et de pauvreté, en même temps qu’un souci permanent des pauvres et des indigents. Jusqu’à sa mort, Herluin demeura le serviteur fidèle, qui ne prenait nul ombrage de la science éminente de ses disciples, mais qui leur communiquait sa connaissance vitale du Père, puisée dans l’Ecriture et la prière continuelle.
En ce jour, demandons au Seigneur la grâce de la joie profonde du cœur, celle qui vient de l’Esprit Saint et qui nous comble quand nous restons petits, cachés, abandonnés dans les bras du Père, dans une confiance absolue en sa Bonté et en sa Miséricorde.
Dom Jean Charles NAULT
Abbé de saint Wandrille