Évangile : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent »
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.” Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : “Combien dois-tu à mon maître ?” Il répondit : “Cent barils d’huile.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.” Puis il demanda à un autre : “Et toi, combien dois-tu ?” Il répondit : “Cent sacs de blé.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu, écris 80.” Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
« Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »Homélie : « Il n’y a qu’un seul Dieu, il n’a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes. » (I Timothée 2, 5).
Cette phrase de la deuxième lecture nous servira de clé de lecture pour méditer le texte de l’évangile de saint Luc que nous venons d’entendre.
En ce vingt-cinquième dimanche du temps ordinaire, l’évangile nous étonne par les propos de Jésus. En effet, la parabole est celle de l’intendant malhonnête qui, voyant le vent tourner en sa défaveur, s’arrange pour diminuer toutes les créances de son maître, et ainsi avoir nombre d’endroits où il sera reçu quand il n’aura plus de travail.
Et ce maître loue l’habileté de ce gérant trompeur. Est-ce un éloge de la malhonnêteté ?
On pourrait le penser en entendant la conclusion de Jésus : « Eh bien moi, je vous le dis, faites-vous des amis avec l’argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».
Pour bien saisir la portée de cette parabole du gérant malhonnête il ne faut pas oublier le verset qui la suit immédiatement: « Les pharisiens, qui aimaient l’argent, entendaient tout cela et se moquaient de lui. » Rien n’empêche de voir dans la parabole un récit; une histoire où Jésus s’inspire d’un événement récent, d’un scandale qui a défrayé la chronique. Et les Pharisiens sont furieux; ils s’attendaient à ce que soit condamné l’intendant, à ce qu’il soit fustigé purement et simplement au nom de la morale. Ils se seraient frotté les mains en disant ou en pensant: enfin le Christ raisonnait sainement! Or, pas du tout; sans prendre parti, bien sûr, pour un homme qui a agi indignement, Jésus élargit l’horizon. Et la leçon qu’il dégage atteint ses auditeurs au point le plus sensible.
Ces recommandations n’y vont pas par quatre chemins et incitent avec force le disciple à la transparence, à mettre ses priorités à la bonne place. L’appel de Jésus est clair et il est radical : « Aucun domestique ne peut servir deux maîtres…vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent ». Les recommandations de Jésus ne veulent pas empêcher les disciples, l’Église, de se donner les moyens de répandre la Bonne Nouvelle, mais elles lui indiquent que c’est en choisissant ce qui dure tout le temps et non en se laissant fasciner par ce qui dure un temps, la « mondanité » dont parle souvent le pape François, que le disciple suit son Maître qui s’est anéanti totalement en se dépouillant de tout et qui s’est livré pour nous.
Dans une homélie sur le gérant malhonnête, le pape François disait: « Le chemin de la mondanité, des ennemis de la Croix du Christ est ainsi : il te porte à la corruption! Cela arrive aux personnes qui n’ont de chrétien que le vernis, des chrétiens mondains, des païens recouverts de deux coups de pinceau de christianisme, habitués à la médiocrité ». Ces chrétiens-là, continue le Pape, ont une mentalité mondaine au lieu « d’être des chrétiens des cieux », ils sont attachés à l’argent. Ils ressemblent à ces pharisiens que dénonce Jésus à la fin de l’évangile.
« Non à la mondanité spirituelle », écrit le pape François dans son Exhortation apostolique « La joie de l’Évangile ». Et il continue « La mondanité spirituelle, qui se cache derrière des apparences de religiosité et même d’amour de l’Église, consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine et le bien-être personnel. C’est ce que le Seigneur reprochait aux pharisiens : ‘Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ? » (Jn 5, 44). Il s’agit d’une manière subtile de rechercher ‘ses propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ ‘ (Ph 2, 21). Elle prend de nombreuses formes, suivant le type de personne et la circonstance dans laquelle elle s’insinue.
Nous sommes donc invités aujourd’hui à un examen de conscience, à tous les niveaux, comme individus et comme groupes. Quel est notre rapport à l’argent et aux biens matériels? Comment nous préserver de l’esprit de mondanité dénoncé par le pape François? Comment mesurer avec sagesse l’utilisation de ces biens?
Il n’y a pas de réponse toute faite. C’est à nous de prendre les voies concrètes adaptées tout en donnant la priorité aux biens qui ne passent pas plutôt qu’aux choses qui ne durent qu’un temps et qui nous enferment dans une étroitesse et un horizon sans ouverture.
Que cette célébration soit l’occasion de renouveler notre attachement à Jésus Sauveur, le Seigneur de notre vie, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, comme le dit saint Paul à Timothée dans la deuxième lecture, et qu’elle nous donne la force d’aller toujours plus loin sur le chemin du dépouillement nécessaire qui nous prépare au dépouillement suprême, celui du passage de ce monde à celui de l’éternité bienheureuse. Amen.
Frère Dieudonné
Moine du Bec