Évangile : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée »
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Homélie :
Cet épisode advient au septième jour de la semaine inaugurale du ministère de Jésus, ponctuée par ses rencontres et rythmée par l’alternance des soirs et des matins rappelant la semaine de la création du monde dans la Genèse. Les noces de Cana y sont l’écho de la création de l’homme et de la femme au sixième jour de cette semaine. C’est donc une scène de plénitude et en même temps de préfiguration ; en effet, Jésus y anticipe son sacrifice pascal et y fait la première annonce de sa passion, quand il déclare : « Mon heure n’est pas encore venue ». C’est l’heure déterminée par son Père de son passage vers lui par la Croix. D’un bout à l’autre du quatrième évangile, Jésus se réfère à la volonté de son Père.
À l’obéissance de Jésus à son Père fait écho l’invitation de Marie aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira ! ». Elle reprend ici la formule typique et récurrente par laquelle Israël exprimait son adhésion à la Loi de l’Alliance lors de sa promulgation ou de son renouvellement (Ex 19,8 ; 24,7). Servante du Seigneur, elle les convie à entrer dans l’obéissance de la foi et leur désigne Jésus comme le médiateur de l’Alliance nouvelle. Et leur obéissance contre toute évidence – puiser six cents litres d’eau alors que c’est le vin qui manque ! – est ce qui permet le miracle ; quand l’homme fait ce que Dieu dit, alors l’impossible advient ; du coup, l’heure de Jésus, celle de sa conformité à la volonté de son Père, est déjà là. Et Marie peut dire cela, car elle-même a pleinement adhéré à la volonté de Dieu lors de l’annonciation, en reprenant la même formule de l’alliance – « qu’il me soit fait selon ta parole » –, et ce qui est impossible à l’homme s’est réalisé en elle. En Marie se trouve enfin l’ouverture et la disponibilité dont Israël avait été incapable ; en elle, c’est ce peuple qui reconnaît en Jésus celui qui comble son attente messianique.
En faisant remarquer à son Fils qu’« ils n’ont pas de vin », Marie lui présente en effet l’attente d’Israël de goûter le vin messianique, de renouer son alliance avec Dieu, car dans l’A.T., le vin manque quand Israël est infidèle à l’alliance. Il y a aussi une autre incomplétude : les jarres sont au nombre de six, chiffre de l’imperfection, et l’eau pour les ablutions rituelles représente la loi de Moïse, celle d’une économie provisoire. Nous remarquons aussi que manque non seulement le vin mais aussi la mariée ; l’évangéliste ne la mentionne pas, car pour lui, la scène préfigure d’autres noces, celles de Jésus avec son Église. De fait, la parole de l’alliance reprise par Marie oriente notre regard vers la nouvelle alliance que Jésus célébrera et conclura sur la croix, en « versant son sang pour nous et pour la multitude ». Alors, l’eau changée en vin annonce le vin de la dernière cène, le vin de l’eucharistie devenant le sang de Jésus. Ces noces de Cana sont donc des noces messianiques où se célèbre par anticipation le mystère pascal. La présence de Marie le corrobore puisque, dans le quatrième évangile, elle n’apparaît qu’à deux reprises, à Cana et au Calvaire, lors de la première manifestation de Jésus et au dernier moment de sa mission : ici et là, Marie remet tout entre les mains de son Fils, se fait servante de la nouvelle alliance.
Marie continue auprès de nous aujourd’hui le rôle qu’elle a tenu près de Jésus. Nous sommes ces serviteurs de noces qu’elle invite à se mettre au service du Seigneur et à obéir à sa Parole ; alors l’eau insipide de notre quotidien prosaïque se transforme en vin messianique, en communion de vie avec le Seigneur, en vie radicalement nouvelle, comme est radicalement nouveau le vin de Cana ; alors nous devenons coopérateurs de Jésus dans son œuvre de salut ; alors, tout comme l’origine du vin de Cana reste mystérieuse, nous entrons dans le mystère de l’origine divine de Jésus, car il ne se révèle qu’à ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique.
Cana est le commencement des signes de Jésus, car y sont contenus en germes les signes qui suivront, y est annoncé le signe ultime de la croix, où Jésus porte à son accomplissement toutes les réalités de l’ancienne alliance et où se manifeste sa gloire, la gloire d’aimer jusqu’au bout, la gloire qu’il avait auprès de son Père, la gloire qu’il veut partager avec nous.
Père Etienne RICAUD
Père Abbé Emérite de l’abbaye de saint Benoit sur Loire