Quel paradoxe ! Pour célébrer la royauté du Christ, la liturgie nous fait lire l’évangile de la crucifixion, l’instant où il se montre, non seulement anéanti, dépossédé de sa liberté et de sa dignité d’homme, mais jugé comme un malfaiteur, traité comme un hors-la-loi. « ma royauté n’est pas de ce monde, venait-il de déclarer à Pilate.
On a effectivement peu de peine à la réaliser, devant ce spectacle désolant, lamentable, presque révoltant.Reste une interrogation sur Jésus lui-même, sa personnalité, ses dires, son comportement, « un homme puissant en parole et en acte », selon les disciples d’Emmaüs, leur Maître et Seigneur qui avait tenu tête aux chefs religieux, avait montré sa maîtrise sur les vents et la mer, avait guéri des malades et même redonné vie à plusieurs enfants, et, tout récemment, à Lazare, son ami de Béthanie.
Le peuple (ici, le mot employé par Luc est le peuple des croyants, pas la foule dont il parle souvent), le peuple, donc, est muet de consternation, pendant que ricanent les autres, trop contents de voir balayées les prétentions de ce Galiléen fantasque et dérangeant.
« Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi », avait déclaré, un jour, Jésus. Élevé de terre, il l’avait été quand il était apparu, sur la montagne, à Pierre, Jacques et Jean, transfiguré en présence des deux témoins qu’étaient Moïse et Elie ; il l’est, aujourd’hui, entre deux larrons crucifiés avec lui ; il le sera, dans quelques heures, devant les deux disciples qui rentraient à Emmaüs, dépités par ce qui venait de se passer ; et, dans quarante jours, il le sera encore et définitivement, au moment de disparaître au regard des Onze et de ceux qui les accompagnaient.
La royauté de Jésus n’est pas d’ordre politique, le pouvoir, la richesse, la vénération qui couronnent le front des rois de la terre n’étant que de la balle, en regard de la sienne. Il est le Fils bien-aimé du Père des cieux, Son envoyé chargé de révéler au monde Son amour, sa miséricorde, Son dessein de salut ; il partage, en tout, notre condition humaine, pour nous élever avec lui dans la gloire de son Père. Le royaume des cieux, c’est donc la vie en Dieu, à laquelle tous sont conviés, mais pas pour après, dès maintenant, à partir du moment où l’on accueille le message de Jésus, message de miséricorde, de bienveillance, d’amour, à l’égard de tous les hommes, tous enfants de Dieu, sans exception.
Le bon larron l’a compris, lui qui reconnaît en Jésus le Maître de la Vie, lui qui est conscient de son besoin d’être sauvé, lui qui fait confiance au pouvoir qu’a Jésus de délivrer et d’introduire dans le royaume des cieux. Quand nous imaginons que le royaume des cieux récompense nos réussites humaines, qu’il garantit et pérennise nos institutions, nous nous illusionnons complètement. Tous passera, sauf l’amour, car l’amour est la marque de l’avènement du Royaume, le signe que nous vivons en Jésus ressuscité, pour toujours. A quoi bon proclamer que Jésus est roi, si nous vivons en nous épiant, en nous jugeant, en nous ignorant, en nous excluant ? Jésus est roi, mais d’un peuple, sinon que signifierait cette royauté ? Soyons ce peuple, en vivant avec lui, par lui, en lui, pour la gloire de son Père et notre Père, pour le salut de ses frères, nos propres frères.
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec