La liturgie est un langage qui se joue de la grammaire : elle a un lexique et une syntaxe propres. Aujourd’hui, nous célébrons la naissance de Marie, et l’Eglise nous propose la méditation de la naissance de Jésus.
Cela veut dire que ce récit ne relève pas de l’histoire au sens moderne du terme, mais découle d’une réflexion théologique sur un fait avéré que nous appelons Noël. La visée de l’Écriture est toujours pastorale, et pour la comprendre dans sa totalité, il faut la lire en commençant par la fin.
La fin, pour l’origine de Jésus, c’est sa mort et sa résurrection, le mystère du Salut de Dieu, dont la naissance de Marie commencement la réalisation. Il fallait que Jésus (Dieu sauve) naisse de David, le roi sauveur, prophète de l’avènement du Messie ; il fallait qu’il naisse d’une femme, pour être vraiment homme. L’histoire d’Israël devient, en lui, l’histoire de l’Alliance entre Dieu et toute l’humanité. D’où sa généalogie, que Matthieu fait remonter à Abraham, l’ancêtre fondateur du Peuple de Dieu, pour arriver à Joseph, fils de David, qui lui donnera son nom, Jeshoua, acte qui le fait légalement père de l’enfant de Marie.
Un jeune couple, donc, tous deux justes, c’est-à-dire désireux d’accomplir en tout la volonté de Dieu et attendant dans la foi l’avènement du Messie promis. Marie, de son côté, reçoit une mission unique, impartageable ; Joseph qui, dans un premier temps, se sentant exclu, décide de répudier Marie en secret et de prendre de la distance pour ne pas tromper le monde sur la vérité de cette naissance, accède finalement à la demande de l’ange : il en assumera la paternité.
La naissance de Marie est donc le commencement de ce mystère de foi : elle naît pour que l’œuvre du Salut de Dieu prenne corps et s’accomplisse en elle. Et elle naît « favorisée de Dieu », dès sa conception, déjà pleinement héritière de la grâce du Salut venant de la mort et de la résurrection du Fils à qui elle va, dans quelques années, donner le jour.
Cet acte de foi n’est pas une combine intellectuelle pour justifier un dogme incompréhensible :
c’est notre vie en Christ qui est là en jeu, la vie éternelle. S’il fallait que Marie soit justifiée dès sa conception pour que le Fils de Dieu prenne corps en elle, il en est de même pour nous qui sommes, comme elle, responsables de l’avènement du Salut de Dieu, par le témoignage que nous sommes appelés à rendre de la grâce de la Vie qui coule en nous. Le temps de l’accomplissement des promesses suit, pour nous, le calendrier de nos histoires personnelles ; pour Marie, il en est autrement, puisque Jésus est cet accomplissement et qu’il naît d’elle.
Si bien que ce récit hors du temps, où le merveilleux côtoie le plus ordinaire, où le divin se marie à l’humain le plus quotidien, est le grand jeu de la Vie dont nous sommes tous les acteurs. Héritiers, nous aussi, de la grâce de Pâques, nous sommes les témoins du bonheur de la Vie que Dieu destine à tous. Et témoins dans les deux sens du terme : nous-mêmes en sommes les heureux bénéficiaires ; nous-mêmes sommes appelés à l’annoncer, à la partager. Le mystère, ici, n‘est pas une vérité livresque, gratifiante pour notre intellect ; il est la sève de notre foi, la source de notre espérance, le pain et le vin de notre charité. « Aujourd’hui, chante saint Jean Damascène, à partir de la nature terrestre, un ciel a été formé sur la terre. Aujourd’hui est pour le monde le commencement du Salut. » Et nous pouvons faire que cet « aujourd’hui » le soit tous les jours.
Frère Paul-Emmanuel
Abbé du Bec