On sait le lien étroit qui se tisse, au fils du temps, entre le berger et son troupeau. La Bible emploie souvent cette image pour révéler à Israël la nature de l’amour qui attache Dieu à Son peuple.
Jésus reprend cette même image et se l’applique : « Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme mon Père me connaît et que je connais mon Père. » (Jn 10, 14-15)Les Juifs, qui sont familiers des récits bibliques, qui chantent les psaumes (entre autres : le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ), ne s’y trompent pas : « pour qui se prend Jésus ? » Plus scandaleux encore : avec la formule « Je suis », Jésus s’identifie à Dieu, les deux mots suggérant le nom mystérieux que Dieu S’est Lui-même donné quand Il S’est révélé à Moïse.
Ce lien, Jésus le partage pleinement, puisqu’il ajoute, ici, « moi et le Père nous sommes un ». Jésus est donc vraiment berger du peuple de Dieu ; les brebis lui appartiennent (cf. Jn 10, 11-16) et la relation qu’il a avec elles est du même ordre que la relation qui l’unit à son Père. Abraham, Moïse, David, les Père d’Israël, étaient bergers, dans les deux sens du terme, bergers de troupeaux, bergers du peuple que Dieu leur avait confié ; Jésus est le berger par excellence, dont le prophète Ezéchiel avait annoncé et chanté la venue : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin… Je l’arracherai de tous les endroits où il a été dispersé… Je le ferai paître dans un bon pâturage… Moi-même je ferai paître mon troupeau, oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai… » (Ez 34, 1-31)
Ces remarques sont importantes, car la foi chrétienne est un mystère d’alliance, qui sollicite le cœur, qui est de l’ordre de l’amour. Ce qui ne veut pas dire que notre foi est purement subjective, qu’elle est une affaire de sensibilité, qu’elle échappe à toute rationalité ; elle serait alors strictement privée et n’aurait pas à intervenir dans la sphère publique. Cette dichotomie est bien française, comme si l’homme était divisé en deux et que son agir ne relevait que de la part rationnelle en lui, et qu’il ne pouvait être religieux qu’à la maison et à l’église…
Revenons au berger, le Christ, qui rassemble ses brebis dans la bergerie, connaît chacune par son nom, les mène vers de bons pâturages, les protège du loup, donne sa vie pour elles. (cf. Jn 10, 1-21) L’image du berger dit beaucoup, mais reste insuffisante, dans la mesure où, appliquée à la communauté des disciples du Christ, elle requiert une démarche libre et responsable des brebis que nous sommes.
Jésus n’est pas un penseur génial, un meneur d’hommes exceptionnel, un visionnaire hors-pair ; il est celui qu’avaient annoncé les prophètes, le Messie de Dieu, le nouveau David. Nous avons à nous prononcer, à nous décider pour lui, comme, après le discours sur le pain de vie : « Cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ? », disent ceux qui ont entendu Jésus. « Beaucoup s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui », rapporte saint Jean, qui poursuit : « Alors Jésus demanda aux Douze : Et vous, voulez-vous partir, vous aussi ? Simon-Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6, 60-71)
Cet évangile appelle donc de notre part un acte de foi en Jésus ressuscité, pasteur de l’Eglise, qui nous connaît chacun par notre nom, désire nous conduire ensemble au bercail du Père, fait tout pour nous garder unis sur le bon chemin, court nous chercher si nous nous égarons, se précipite pour nous soigner si nous nous blessons. (Cf. Jn 10, 1-21)
Lire l’Evangile comme un code de bonne conduite, voir dans la foi chrétienne un cadre culturel et social garant de l’ordre et de la justice, c’est passer totalement à côté du mystère chrétien. Les disciples de Jésus que nous disons être sont tous appelés à jouer leur vie sur sa promesse : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » (Jn 10, 10b) « Mes brebis écoutent ma voix… Et moi, je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main. » (Jn 1027-28)
Choisir de suivre le Christ, c’est donc nous engager, quelle que soit notre vocation, à vivre, avec lui, tous les instants du présent, comme la porte d’entrée dans le Royaume des cieux.
Fr. Paul-Emmanuel
Abbé du Bec