L’évangile de ce dimanche fait partie d’un ensemble qui commence avec les Béatitudes, il y a 15 jours, se poursuit par l’invitation, dimanche dernier, à aimer nos ennemis et à dépasser nos aversions et nos suspicions, pour aimer tous les hommes comme les aime le Père, leur offrant notre pardon et allant même au-devant de leurs besoins. Aujourd’hui, cet enseignement s’achève par une succession de conseils visant à instaurer une véritable vie fraternelle entre nous, excluant tout jugement, toute injustice, toute étroitesse de cœur.
Le risque serait de lire ce discours de Jésus comme une suite de règles de sagesse cherchant à améliorer les relations entre nous, pour un mieux ‘vivre ensemble’, comme on dit aujourd’hui. C’est déjà très positif, mais nettement insuffisant : nous sommes disciples du Christ, lui-même étant l’envoyé du Père, venu pour nouer avec nous l’Alliance nouvelle et éternelle voulue par Lui de toute éternité. Nous sommes donc, en Christ, enfants de Dieu, témoins de cette alliance. Nous ne pouvons plus nous comporter en païens, même en ‘sans dieu’ respectueux des autres.
Au verset 36 de ce même chapitre, Luc fait dire à Jésus : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Matthieu écrit : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait ». Là est la clef de compréhension de la pensée de Jésus : l’amour de nos ennemis, la grandeur d’âme face aux mesquineries inévitables en toute société, même la plus petite, l’amour et la vérité dans nos relations fraternelles, toutes choses pas immédiatement naturelles et même contraires à notre instinct de défense et à notre besoin de justification, ne sont possibles qu’en référence à l’amour et à la miséricorde de Dieu ; non seulement possibles, mais exigées par Lui, le Père dont nous sommes l’image et ressemblance.
Si nous lisons attentivement ces courtes paraboles, il ne faut donc pas y voir une invitation de Jésus à être plus aimable et avenant, une exhortation à améliorer nos comportements en société, un appel à un mieux ‘vivre ensemble’ ; le sujet n’est pas là. Jésus nous demande de nous convertir. Plus nous lui serons reliés, plus nous nous laisserons incorporer à lui, en habitant sa parole, en nous nourrissant de son corps et de son sang, en étant transformé par la grâce des sacrements, plus sa vie coulera en nous, plus son amour et sa miséricorde pour tous se diffuseront par nous. En nous révélant que nous sommes les enfants du Père, ses propre frères, il nous entraine avec lui sur le chemin de l’amour sans limite, du don total de nous-même et de la participation à sa résurrection : « Car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure pour vous. »
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec