Le récit de l’apparition de Jésus ressuscité au Cénacle dans l’évangile de Luc nous est sans doute moins familier que celui de l’évangile de Jean qui est lu chaque année le 2e dimanche de Pâques. Pourtant l’on peut penser qu’il s’agit de la même apparition aux disciples le soir du premier jour. Les différences entre les deux récits illustre la diversité et la complémentarité des témoignages évangéliques qui, tous, mettent en évidence la difficulté des disciples à croire en cette nouveauté radicale de la résurrection de Jésus.
Après le silence du samedi Saint, le temps reprend son cours, la vie nouvelle qui coule à flot veut atteindre tout homme jusqu’à la fin du monde, ce qui se réalisera au rythme de la patience et de la tendresse infinie de Dieu. C’est cette beauté que Jésus manifeste à ses apôtres et à leurs compagnons en se tenant au milieu d’eux, tandis qu’il parle de lui, tout comme au disciple sur le chemin d’Emmaüs, peu auparavant. Ils sont réunis dans la peur et l’abattement. La mort de leur maître à ébranlé leur fidélité. Pourtant, ne leur avait-il pas dit que le fils de l’homme devait souffrir, être exécuté, et le 3e jour ressusciter d’entre les morts ? Ce matin même, ils n’ont pas cru les femmes qui ont trouvé le tombeau vide et ont vu des Anges qui le disent vivant.
Et voici qu’il est là, au milieu d’eux. Il n’entre pas : il est déjà présent et se rend visible. C’est comme si leurs yeux s’ouvraient tout d’un coup et le découvraient au milieu d’eux. Désormais il appartient à la nouvelle création. Cette apparition au milieu des disciples signifie qu’il est réellement présent parmi ceux qui sont rassemblés en son nom, selon sa parole. Et nous pouvons remarquer ceci : Le fait qu’elle ait lieu le premier jour de la semaine atteste la pratique liturgique de l’Église apostolique. Les croyants se réunissaient ce premier jour, c’est-à-dire le dimanche, pour faire mémoire de la Résurrection.
Jésus demeure donc dans son église donc il est la tête et le cœur. Il unit les membres entre eux et en Lui en leur donnant la paix. C’est sa première parole adressée aux disciples : » Paix à vous ! » Plus qu’une simple salutation, c’est vraiment un don de Dieu, un signe de la venue du Messie, un fruit de la Résurrection. En pardonnant les infidélités du passé, Jésus recrée en chacun d’eux un cœur nouveau et leur ouvre un avenir de lumière.
Mais ils sont à la fois tout joyeux et bouleversés, ne s’attendant pas à ce nouveau mode de présence de Jésus car il l’imagine tel qu’avant sa Passion. Comprenant leur doute et leur question, il insiste : « C’est bien moi ! » reprenant la parole biblique des manifestations divines. Sa résurrection concerne la totalité de son être, corps et esprit. Il leur fait constater sa réalité corporelle d’une manière aussi tangible que possible, leur montrant ses plaies et mangeant devant eux. Ressusciter, il reste celui qui a été crucifié. Sa résurrection authentifie sa passion et en dévoile le sens : C’est par amour qu’il a livré sa vie sur la croix. Vivant à jamais, il fait participer ses disciples à sa victoire et nous précède dans la création nouvelle.
Ainsi dans ce cheminement des apôtres, dans ce passage laborieux de l’incroyance à la Foi, nous reconnaissons nos propres difficultés, nos combats, nos doutes, les épreuves que nous traversons, les illusions que nous nous faisons sur Dieu. Mais Jésus manifeste sa patience et son amour envers nous, en respectant nos hésitations et nos lenteurs. Il nous donne des signes de sa présence qu’il nous faut déceler.
Cependant Jésus ne se contente pas de révéler aux apôtres son identité. Il se manifeste dans la paix qu’il apporte et dans le pain partagé de l’Eucharistie. Mais il est un autre lieu de sa présence : C’est l’Ecriture, la Parole de Dieu. Plus encore, les textes sacrés apportent la preuve de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Comme aux disciples d’Emmaüs, il explique aux apôtres que tout ce qu’il y a été écrit de Lui dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes s’accomplit. Toute l’Ecriture est relue comme une vaste prophétie à son sujet. N’est-il pas annoncé par les patriarches et les prophètes ? Par Abel le juste dont le sang fut versé par son frère ? Par Abraham obéissant à l’ordre divin et par Isaac offert en sacrifice et sauvé par la main de l’ange ? Par Joseph vendu par ses frères mais choisi par Dieu pour sauver la vie d’un peuple nombreux ? Par Moïse qui, avec le peuple, traverse la mer à pied sec ? Par David, le roi juste, dont les Psaumes ont été priés par le peuple d’Israël et par Jésus lui-même ? Par Jérémie le Prophète persécuté ? Par ce personnage anonyme enfin qui, sous les traits du serviteur de Dieu, concentre en lui tous ces justes et préfigure le Messie qui prend sur lui les péchés et les souffrances de l’humanité pour lui donner le salut ?
Ainsi jésus ouvre leur esprit à l’intelligence des Écritures et l’Esprit Saint poursuivra lui-même cette mission dans le cœur des croyants. Avec les apôtres nous comprenons que le salut voulu par Dieu est réalisé dans la résurrection du Messie crucifié.
Mais après avoir affermi la foi des Apôtres en sa Résurrection grâce à sa présence et aux Ecritures où il est annoncé, Jsus leur enjoint d’être témoins de tout ce qu’ils ont vu et entendu. De nombreuses traductions disent simplement : « De cela vous êtes témoins. » Notre texte liturgique voit dans la parole de Jésus une exhortation adressée à ses disciples encore timorés. Mais le lectionnaire aurait dû citer le verset suivant où Jésus leur promet la venue de l’Esprit Saint, force d’en haut, qui leur donnera l’audace d’annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
Ce salut s’accomplit quand les hommes se convertissent car Jésus apporte le pardon des péchés en offrant sa vie, comme l’écrit Saint-Jean la première lettre. Et dans les Actes des Apôtres, Pierre, rempli de l’Esprit de Pentecôte, annonce la résurrection du Seigneur et la conversion, lui qui a fait l’expérience de sa miséricorde, comme les autres apôtres, après leur défection et leur incrédulité. Et ce témoignage, comme cela se vérifiera pour la plupart d’entre eux et tant de chrétiens à leur suite, ira jusqu’au martyre, jusqu’au don total de leur vie pour le Christ.
Notre foi repose sur la prédication des apôtres et l’Eglise poursuit leur mission d’annoncer le salut offert par Jésus. Agrégés à son peuple par le baptême et fortifiés par les sacrements, nous sommes renouvelés par sa grâce, animés de sa vie nouvelle, appelés à la conversion pour suivre Jésus dans son mystère pascal. C’est en aimant comme Lui que nous pouvons témoigner devant les hommes qu’il est vraiment ressuscité !
Frère Claude
Moine du Bec