En prenant l’image du Bon Pasteur pour nous dire ce qu’il est pour chacun de nous, Jésus comme avec les disciples d’Emmaüs, ouvre notre esprit à l’intelligence des Ecritures. « Il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes, les psaumes. »
Le Bon Pasteur s’inscrit dans une longue lignée de bergers qui l’annonçaient. Abel était berger, Abraham, Jacob, Moïse, David, Amos étaient des bergers et Dieu lui-même, tout au long de l’Evangile est chanté comme le Bon Berger, pasteur de son peuple.
Ces qualités du berger dont Jésus témoigne tout au long de l’Evangile, nous concernent car, s’il est vrai que nous sommes des brebis, nous devons aussi être bergers pour tous ceux et celles qui nous sont confiés.
Le métier de berger est un des plus anciens du monde, un des plus rudes aussi. Le vrai berger ne s’accorde pas de répit, il est toujours en marche, à l’affût, il doit connaître parfaitement les sentiers et les herbes, surtout les mauvaises. C’est un veilleur qui ne sombre jamais dans un sommeil lourd, il doit connaître parfaitement les astres et les vents ; traduisez tout cela au niveau des mouvements des cœurs de chacune des brebis. Il est le gardien, mais comme seul celui qui donne sa vie par amour pour garder les autres ou veiller sur eux. Il nourrit en se donnant lui-même et comme le chante le psaume 22 : « Il conduit ses brebis sur des pâturages d’herbes fraîches il les fait reposer ! »
C’est aussi un médecin des âmes et des corps, qui panse les blessures, qui trouve les mots justes pour que le visage de chacune de ses brebis se pacifie. Je pense à la parabole du bon Samaritain dont il dit qu’en voyant le blessé il est « pris aux entrailles », c’est-à-dire au plus profond de lui-même. C’est exactement ce qu’on nous dit à plusieurs reprises de Jésus, quand il voit la foule ou les pauvres : « il fut pris aux entrailles ». Le Samaritain ne se contente pas de soupirer. Il agit. Il y a un chemin qui va des entrailles au blessés, du cœur d’un homme à son action.
Le Bon Berger ne nous laisse jamais seul dans nos tourments. Il nous permet de reprendre pied. Transposons toutes ces qualités, ces attentions du berger avec ses brebis et prenons les pour mieux vivre nos relations entre nous, et ainsi le royaume de Dieu sera visible. Le berger c’est aussi un père ou une mère de famille, un ami.
« Dieu est amour » nous dit-il (Jean 1,4,8-9) : « Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions en Lui ! » L’évangile du Bon Pasteur nous redit cette unique vérité : »Dieu est amour ! » Le poète et peintre anglais W. Blake, qui était chrétien tout en rejetant la tyrannie des théologiens de son temps, disait : » l’homme est amour ». Et, après lui, Thérèse de l’Enfant-Jésus écrivait : »Dans le cœur de l’église, ma Mère, je serai l’amour. »
L’homme est amour parce que Dieu n’est pas isolé dans sa toute-puissance, Il est amour mutuel, amour partagé. Il est échange, don de soi, solidarité, il en va de même de l’homme créé à l’image de Dieu. « Moi je suis le bon pasteur, connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le père me connaît et que je connais le père, et je donne ma vie pour mes brebis ». Cette connaissance mutuelle est le sommet de la rencontre.
Un vieux prêtre de Troyes disait un jour : « Seigneur, je vous ai tellement mangé et bu, que vous deviendrez bien un jour mon instinct ».
« Je suis le Bon Pasteur, le vrai berger ». Le berger mercenaire, lui, n’est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas ; s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit. Déjà Ézéchiel prophétisait (22,27) : » les chefs de Jérusalem sont au milieu de la ville comme des loups qui déchirent leur proie ! » Mercenaire et loup, c’est tout un. Jésus est le berger du troupeau du Père. Il les conduit bien au-delà bien au-delà des pâturages, il les conduit au Père avec qui il ne fait qu’un. Elles sont siennes parce qu’elles sont au Père. « Elles étaient à toi et tu me les a données et elles ont écouté ta parole (17,6) ».
» J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie, il faut que je les conduise avec les autres ». Jésus va emmener son peuple en dehors d’Israël, en dehors de l’institution religieuse figée dans ses certitudes. Nous devrons toujours sortir d’un carcan, qu’il soit religieux ou autre. L’ennemi des brebis, ce n’est pas toujours le dehors, comme on a tendance à le croire, mais il est au-dedans de nous quand nous refusons d’aimer ceux qui ne pensent pas comme nous, que nous refusons de les regarder, de les considérer, de les écouter, ce n’est rien d’autre que la projection de nos propres limites et de notre misère intime.
Or, le bon berger nous fait confiance malgré nos errances répétées, notre éloignement de son amour. Il est doux, humble de cœur, il nous prend en pitié, « Où que tu ailles, nous dit-il, même si tu me renie, moi je ne te renierai pas – je connais mes brebis, je te connais mieux que toi – crois seulement en mon amour et tu seras sauvé. » N’est-ce pas cet amour que nous devons nous transmettre les uns les autres dans nos rencontres quotidiennes ? Jésus ne s’est jamais situé au-dessus des hommes, au contraire, il s’est toujours abaissé pour leur révéler qu’ils sont tous, absolument tous, eux-mêmes des fils de Dieu. Faisons de même.
Frère Michel
Moine du Bec