Homélie :
Parmi les nombreux miracles de Jésus, l’évangile de Marc rapporte deux guérisons d’aveugles. Dans la première, au chapitre 8, l’aveugle de Betsaïde n’est pas nommé. Curieusement, Jésus doit s’y reprendre à deux fois pour qu’il voie parfaitement. Ce geste qui a une portée symbolique exprime les difficultés des gens à voir qui est réellement Jésus. On reconnaît le long cheminement de la foi qui est celui de beaucoup, déjà baptisés ou en marche vers l’Église.
Tout différent et le récit que nous venons d’entendre au chapitre 10. Alors que l’aveugle de Betsaïde reste inconnu et ne devient pas vraiment disciple de Jésus, celui de Jéricho n’hésite pas à proclamer sa foi avant même d’être guéri et marche à la suite de Jésus ! Et pourtant, à la fin du récit, quel parcours étonnant ! C’est le passage des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la solitude à la communion.
Jéricho, tout un symbole ! C’est la porte d’entrée du monde païen en Terre Sainte. A la sortie de la ville se tient à aveugle. Il est connu : C’est le fils de Timée. Mais son état fait de lui un mendiant, un marginal. Privé de la lumière, il est coupé du monde matériel, exclu de la société comme de la communauté religieuse. « Il est assis au bord du chemin » nous dit le texte, réduit à l’inaction, sans travail et sans relations. Il ne peut se joindre à ceux qui marchent sur la route de la vie.
Pourtant son cœur continue de battre. L’étincelle d’un désir profond est prête à embraser sa vie. L’oreille de son cœur reste en éveil. Or le nom de Jésus et l’annonce de sa venue le font bondir. Malgré son infirmité, il court vers Jésus. C’est dire la foi qui habite son cœur.
Ainsi pour qui cherche Dieu, les difficultés peuvent se multiplier, elles ne sont pas insurmontables car Il donne sa grâce pour l’aider à les vaincre. Ce qui est vrai au plan personnel l’est aussi au plan communautaire. La foule décrite par le Prophète Jérémie en donne l’image. Tous ceux qui la composent, aveugles et boiteux, femmes enceintes et femmes qui enfantent, auraient de justes raisons de ne pouvoir se mettre en marche. Mais le désir de revenir au pays, de quitter l’esclavage pour la liberté les entraîne. Car, de plus, c’est Dieu qui les conduit et ils sont aidés par ceux qui marchent sans difficulté. Ainsi se manifestent la grâce de Dieu pour ceux qui lui répondent et la solidarité entre les membres de la communauté.
Parmi les obstacles que Bartimée doit franchir pour devenir disciple de Jésus, la foule n’est pas la moindre. Dès qu’il apprend l’arrivée de Jésus, il se met à crier à son adresse : » Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! » On le rabroue, sans doute avec rudesse, mais lui ne désarme pas écrit de plus belle.
Il en est parfois de même dans nos assemblées ou nos communautés qui n’aiment pas se voir bousculer par des nouveaux venus qui ne se plie pas à ses usages et assez pratique. Mais n’est-ce pas un appel de l’Esprit Saint qui nous provoque à une ouverture à ceux du dehors, aux exclus, aux étrangers, un appel à concorder aux vues de Dieu qui veut sauver tous les hommes ? Nous sommes nous-mêmes les membres de cette foule appelée à la conversion du cœur et du regard, à devenir une église ouverte et accueillante au chercheur de Dieu, à être le lieu de la rencontre avec Jésus.
C’est justement lui, Jésus, qui permet à la foule de changer d’attitude et qui la constitue comme Église, en demandant à ceux qui rabrouaient l’aveugle de l’amener à lui. Paradoxalement, Jésus devient lui-même d’une certaine manière l’obstacle qui empêche Bartimée d’accéder directement à son désir, en ce sens qui lui impose des intermédiaires. Le catéchumène, car l’aveugle est l’image du candidat au baptême, doit passer par la médiation d’une communauté ecclésiale pour rencontrer le Christ. C’est elle qui lui transmet l’appel du Seigneur.
Bartimée devient alors un homme nouveau. Il rejette son manteau, symbole de sa vie de mendiant, mais aussi de tout son passé de ténèbres et d’éloignement de Dieu. La lumière remplit son cœur avant même d’éclairer des yeux. Il a cheminé dans la foi, tel le catéchumène qui se prépare à recevoir le sacrement de l’illumination. Comme dans tous les autres récits de miracles, Jésus met en évidence l’avènement de la foi dans son cœur. Le don de la vue marque l’achèvement de l’œuvre de la grâce en lui. Le vola maintenant disciple de Jésus, capable d’une relation personnelle avec lui. Il ne l’appelle plus « Fils de David » comme la foule, mais « Rabbouni », c’est-à-dire « mon maître ».
Mais qu’est-ce que devenir disciple ? C’est marcher avec Jésus sur le chemin qui mène à Pâques en acceptant sa croix. Ce miracle est le dernier que rapporte l’Évangile de Marc, juste après la troisième annonce de la Passion. Le nouveau disciple est un homme debout, il marche au milieu du chemin, à la suite de Jésus qui entreprend la dernière étape de son ministère, la montée de Jéricho à Jérusalem. Comme Bartimée, nous, ses disciples, nous mettons nos pas dans ceux de Jésus, renonçant à nous-mêmes. Nous nous dépouillions du vieil homme avec ses agissements et ses convoitises décevantes pour « revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la Vérité », comme le dit l’apôtre Paul (Éphésiens).
Jésus lui-même a renoncé à sa volonté pour obéir par amour à celle de son Père. Selon l’épitre aux Hébreux, il est devenu le Grand Prêtre compatissant à nos faiblesses : il a souffert à cause de nos péchés. En mourant sur la Croix, il nous a pardonné pour que nous recevions sa vie et son Père l’a fait entrer dans la gloire de la Résurrection.
Demandons au Seigneur de nous libérer de ce qui empêche sa vie de s’épanouir en nous. Par le baptême, nous sommes illuminés et recréés à son image. Que cette Eucharistie renforce notre unité et fasse de nous ses disciples.
Frère Claude
Moine du Bec