Evangile
Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Il est écrit dans Isaïe, le prophète : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Alors Jean, celui qui baptisait, parut dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés.
Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »Homélie de Vigile
Sans nous lancer dans une étude topographique de la Terre Sainte, après la lecture de notre évangile, il est peut-être bon de nous rappeler où se trouve Jean-Baptiste quand il commence son ministère de prédication. Il est dans le désert, littéralement « la voix de celui qui crie dans le désert » (Jn 1, 23). Plus précisément, Jean-Baptiste se trouve au gué du Jourdain. Cet emplacement géographique n’est pas sans signification. Au terme de leur exode d’Égypte, le Jourdain fut le dernier obstacle que le peuple d’Israël dut traverser pour aboutir dans la terre promise de Canaan.
Il apparaît donc que le rôle joué par Jean-Baptiste ressemble à celui de Moïse bien des siècles avant lui : Jean a pour mission d’aider ceux qui viennent à lui à entrer dans la Terre Promise.
Comme Moïse qui conduit le peuple mais n’entre pas lui-même en terre de Canaan, Jean-Baptiste a reçu la mission de conduire ses contemporains jusqu’au Christ. Et il est bien clair pour lui qu’un jour viendra où sa mission s’achèvera. Il n’est là que pour indiquer la direction. Quand il voit Jésus, il déclare : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29). Au moment de son ultime témoignage Jean-Baptiste devient explicite : « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse » (Jn 3, 30). Tout vrai prophète ne fleurit que pour mourir. Il est appelé à s’effacer afin que Celui dont il parle puisse briller plus clairement.
Les paroles de Jean-Baptiste sont adressées à nous ce soir. Je pense particulièrement à son appel pour nous à être baptisés. Nous sommes pressés, non seulement de nous tenir sur les rives du Jourdain, mais plus encore d’avancer en eaux profondes (cf. Lc 5, 4). Jean nous invite à entrer dans l’eau, de plonger et d’accepter de passer de l’autre côté. Cette invitation peut nous effrayer un peu. Certains parmi nous peuvent avoir peur de l’eau. Cela est compréhensible.
Dans la Bible, l’eau est un symbole bien ambigu. L’eau semble parler un langage assez paradoxal puisqu’elle évoque, dans le même mouvement, vie et mort. L’apparente contradiction se résout facilement quand on y voit une vérité profonde de notre foi : on ne peut pas naître sans passer par la mort, il n’y a pas d’entrée dans la vie sans une certaine forme de mort à ce qui est vieux en nous.
Mais parler de l’eau, c’est aussi nous retrouver au commencement, quand la création surgit de l’eau. Dans le livre de la Genèse, tout commence avec « un vent de Dieu agitait la surface des eaux » et le troisième jour, on peut dire que la terre ferme, le continent, naît de l’eau (cf. Gn 1, 2.9).
Alors que nous sommes sur le gué, prêts à passer de l’autre côté, ce qui est devant nous peut nous faire peur. Mais nous sommes appelés à faire confiance que ce qui nous attend, c’est la vie, une vie plus abondante.
C’est précisément pour cela que j’ai évoqué le gué du Jourdain et que je nous invite maintenant à y aller : ce lieu de la prédication de Jean-Baptiste est le lieu où résonne des paroles qui donnent sens à nos vies, qui nous aident à devenir de vrais vivants. Nous avons besoin de trouver un sens à ce que nous vivons afin de pouvoir apprécier la vie qui est la nôtre.
Si les foules sont attirées par le message de Jean-Baptiste, c’est parce ses paroles répondent à leurs plus profondes attentes et espérances. Il leur révèle qu’il est possible de changer et qu’une vie nouvelle les attend de l’autre côté… et, plus encore, que cette vie n’est pas seulement l’objet d’une vague et lointaine promesse mais qu’elle est en quelque sorte déjà là, offerte à tous ceux qui osent s’avancer et s’ouvrir à la venue du Christ dans le monde.
Ce message proclamé il y a plus de deux mille ans est celui que nous avons besoin d’entendre en tout temps : la vie ne nous a pas été donnée seulement au jour de notre naissance, elle nous est donnée sans cesse, toujours nouvelle et toujours possible, et cela en dépit de nos peurs et même de nos refus qui nous empêchent de recevoir le don mais qui n’empêchent pas le Seigneur de vouloir nous le donner.
En ces jours de la vie de l’histoire de l’Abbaye du Bec, l’invitation qui nous est adressée est de choisir la vie une nouvelle fois. Il s’agit de commencer à nouveau avec le Christ… et les uns, les unes avec les autres.
Choisir le Christ, c’est choisir les autres, tous les autres. Une véritable conversion au Christ fait grandir la communion entre les disciples car il nous libère des peurs qui menacent notre communion fraternelle. Si le Christ est notre vie personnelle (cf. Col 3, 4), il est aussi la vie de nos communautés.
Ne laissons pas nos peurs nous paralyser, le chemin que nous propose Jean-Baptiste est celui de la repentance, une repentance qui proclame que la vie est plus forte que la mort, car comme l’écrit St Jean Climaque, « la repentance est la fille de l’espérance » (Échelle Sainte V, 2).
Il est important pour nous tous de nous rappeler les mots de Mgr Kallistos Ware : « Se repentir, c’est regarder non pas vers le bas, vers ses imperfections, mais vers le haut, vers l’amour de Dieu ; non pas en arrière, avec les reproches qu’on se fait, mais en avant, avec confiance. C’est regarder, non pas ce qu’on n’a pas réussi à être, mais ce qu’on peut encore devenir par la grâce du Christ. » (Le royaume intérieur, Éditions Cerf/Sel de la Terre, 1993,)
Père Abbé Mark Ephrem
Abbaye de la sainte Croix,
Rostrevor, Irlande du Nord
Homélie de la messe du dimanche
« A travers le désert, une voix crie : « Préparez le chemin du Seigneur, que tout ravin soit comblé, que toute montagne, toute colline soit abaissée»! Si Dieu veut se faire entendre, s’ Il veut toucher le cœur des hommes, pourquoi donc crier « à travers le désert » ? Pourquoi crier là où nulle oreille ne peut l’entendre ? Pourquoi crier dans le silence du désert ?
Le passage de l’Évangile de Marc, que nous venons d’entendre, est, en quelque sorte, la réponse à cette interrogation. Jean-Baptiste s’est retiré dans le désert, il a vécu là, se nourrissant de ce qu’il trouvait. Il n’a rien fait pour attirer les foules, et pourtant elles sont venues, parfois même de très loin, intriguées par cet homme qui avait choisi de tout quitter pour Dieu.
Car tel est bien le miracle de la Parole de Dieu. En touchant celui qui l’écoute, en bouleversant l’existence de celui qui la porte, elle transforme sa vie tout entière en parole, au point que son silence lui-même devient plus éloquent que toute parole humaine.
Tel est bien le paradoxe de la vie de Jean le Précurseur : en devenant silence, en s’enfonçant dans la solitude du désert, sa vie tout entière est devenue le cri plus éloquent qui ait jamais été entendu. Il fallait tout ce silence, cet extrême dépouillement du désert, ce terrible effacement de la solitude, pour que soit enfin annoncée la Parole véritable, le Christ, le Verbe de Dieu, la Bonne nouvelle!
Les premiers moines ont reconnu en Saint Jean-Baptiste une figure du mystère de leur propre vocation. Comme tous les chrétiens, ils se sentaient appelés, eux aussi, à proclamer la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ. Mais ils ont aussi compris combien ce départ au désert était déjà, en lui-même, une parole. Au désert, on ne peut plus mentir, ni à soi-même, ni aux autres. Au désert, les apparences et les faux semblants se dissipent comme la brume du matin.
Comme Jean-Baptiste nous le rappelle dans ce texte d’évangile, il s’agit surtout de nous parler de notre cœur : ces montagnes à raser, ces vallées à combler, ce sont l’orgueil humain, thème sur lequel Isaïe est tellement insistant tout au long de son livre depuis le premier jusqu’au dernier chapitre.
Notre époque est saturée de paroles, elle étouffe sous l’éloquence boursouflée des promesses non tenues et des discours creux. Les hommes de notre temps ont simplement besoin de silence, pour entendre le murmure de cette brise légère qui ne cesse de les appeler, depuis les origines du monde et de leur dire : « où es-tu » ? Ils ont besoin du témoignage silencieux d’hommes et de femmes comme eux, d’hommes pauvres et fragiles, qui se sont laissés entraîner au désert.
Cette attente de nos contemporains rejoint mystérieusement la figure de Jean le Précurseur. Jean savait qu’il n’était pas digne de sa mission, il était lui aussi partagé entre l’attente de « celui qui doit venir », et le doute : « es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre » ? Jean n’a pas terminé son existence de manière très glorieuse. Jeté au fond d’un cachot, parce qu’il avait osé dire la vérité aux puissants, troublé par le comportement de celui même qu’il avait pourtant tant attendu et annoncé, Jean est mort seul, sans un cri, dans un autre désert.
Nous pouvons demander au Seigneur en ce temps de l’Avent d’avoir plus cette attitude de Jean, d’être attentif à ce qui est petit en nous, pas à la manière du monde, mais aux motions du Saint Esprit en nous. Car l’annonce de la grandeur de l’homme dans le regard de Dieu c’est de préparer, à travers son cœur, le chemin de Jésus : «Convertissez-vous, repentez-vous et tournez-vous vers le Seigneur».
Frère Dieudonné
Moine du Bec