Evangile
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage.
Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième.
De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon.
Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t‑il à ces vignerons ? »
On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »Homélie
« Apres avoir tué les premiers serviteurs, les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux : voici l’héritier : venez ! Tuons-le, nous aurons son héritage ! Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent »
Quelle violence, quelle haine dans cette scène qui n’est pas le récit d’un roman imaginaire. Elle a existé et elle existe toujours.
Le peintre Jérôme BOSCH l’a fixé sur la toile en représentant la montée de Jésus au Golgotha. Il a tracé un portrait monstrueux des hommes, ces mauvais serviteurs dont il est question dans cet évangile : visages aux yeux exorbités de désir et de lubricité, bouches tordues de railleries cyniques, joues gonflées de haine, mains griffues qui se tendent pour étrangler et tuer. Est-ce là notre portait ? Un peu sans doute. C’était il y a deux mille ans et c’est encore vrai aujourd’hui. Depuis des années, la presse à scandale en donne des échos divers. Pendant deux mille ans, ces scènes de haine du Christ, de haine de Dieu se sont succédé en torturant et tuant les servantes et serviteurs de Dieu.
Pensons aux camps de concentration ou aux méfaits dus à l’hypocrisie de certains responsables religieux et politiques, à leur duplicité mortifère.
L’histoire de la vigne de Dieu est une attaque violente contre les chefs religieux. Jésus fait référence au chant de la vigne en Isaïe. Ce très beau chant d’amour et de tendresse, cette pureté du don de Dieu que les serviteurs ont méprisé jusqu’ tuer l’envoyé du Père, le Fils bien aimé, Jésus-Christ.
C’est le combat éternel de la « religion » contre la crainte de Dieu, du zèle clérical contre les témoins du Dieu vivant. Et nous sommes tous concernés.
C’est ainsi qu’autrefois et qu’aujourd’hui encore les prophètes, les humbles, les pauvres du Seigneur sont méprisés.
La parabole de Jésus décrit sa propre destinée, semblable à celle des prophètes : rejet, exclusion, mise à mort.
L’homme dans son orgueil et son égoïsme ne veut pas recevoir la création, toute la création, comme un don de Dieu, il veut la posséder et, peut-être, la fera-t-il périr avec lui. Tant de peuples opprimés dans le monde, tant d’hommes et des femmes et d’enfants qui meurent de faim, tant d’espèces d’animaux divers qui disparaissent pour de questions sordides d’argent ou de pouvoir. Aujourd’hui, la création tout entière crie grâce.
Cet évangile nous renvoie à nous-mêmes, à nos responsabilités, à notre conscience. Chaque rencontre des autres, tous les autres, chaque élan de l’âme, chaque lumière de la charité chez nos frères et sœurs, quel qu’ils soient, sont comme les messagers de Dieu dans notre vie. Qu’en faisons-nous ?
Quand l’homme intérieur s’atrophie, il ne peut que détruire et tuer autour de lui, il n’a plus aucun scrupule, et cela, avec les meilleures intentions, tant son aveuglement est opaque. L’amour de l’argent et la domination plongent l’âme dans les ténèbres de la mort.
La religion vécue comme une fin en soi finit toujours par faire de Dieu une idole. En face d’elle : l’Evangile, toujours nouveau, toujours libre, toujours pur, créateur d’amour et de beauté, annonce le royaume de Dieu : sa présence vivante, agissante chez celles et ceux qui le reçoivent pour ce qu’il est.
L’Église vit au sein de cette tension depuis toujours. Relisons l’histoire du salut.
Joseph a été rejeté, vendu comme esclave par ses frères et c’est pourtant lui qui les sauvera plus tard. Voilà un portrait de Jésus.
Moise, lui aussi rejeté par les Egyptiens et ses propres frères. Dieu a fait appel à lui pour qu’il soit le libérateur de son peuple.
David, le plus jeune des enfants, méprisé par ses frères et même par ses parents, est devenu le plus grand roi d’Israël.
Et cela continue encore de nos jours. Combien de saintes et de saintes (pensons à sainte Bernadette qui, arrivant dans la Communauté de Nevers, s’entend dire par la Supérieure : ce n’est que ça). Oui, combien de pauvres, humbles de cœur, sont encore rejetés, ridiculisés par des hommes et des femmes de l’Eglise dominante, avant de devenir un terreau fertile qui permet un renouvellement de l’Esprit. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » nous dit Jésus.
Nous ne sommes pas propriétaires du salut, ne soyons pas non plus des dispensateurs hautains de la grâce, qui que nous soyons, nous ne sommes que des serviteurs inutiles. Le voile de l’ignorance nous cache la lumière du Dieu vivant et vrai qui éclaire tout homme de bonne volonté. Cette lumière est en chacun de nous, elle est notre secret, ne la laissons pas s’éteindre par le rejet des autres mais, au contraire, que sa flamme soit toujours plus vivante, plus brillante, elle le sera si nous savons reconnaitre et accueillir la présence de Jésus à l’œuvre dans chacun de nos frères. Amen
Frère Michel
Moine du Bec