Evangile
En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois.
Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !” Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.
Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »
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Homélie
« Nous avons beaucoup de mal à lire : « Comment lis-tu ? demande Jésus à un spécialiste de l’Ecriture » (Lc 10, 26). Mais, par contre, comme Pierre, nous savons tous compter ! Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? Compter nous semble objectif et nous permet de rester en retrait par rapport à la question que pose la Parole de Dieu.
La parabole crée une situation dans laquelle nous pouvons nous engager, car elle possède autant de portes d’entrée que d’auditeurs.
Jésus, aujourd’hui, nous invite à nous situer en justesse devant le pardon qu’espère notre frère, notre compagnon, nos proches, sans essayer comme Pierre de nous en acquitter à moindres frais ! Jésus nous acheminera avec Pierre vers des pardons plus difficiles, comme pardonner à nos ennemis, quand nous serons comme une maison construite sur le roc de sa Parole pour l’avoir comprise aujourd’hui et l’avoir mise en pratique.
Pour mieux nous dévoiler le mystère de notre relation à Dieu et à notre prochain, Jésus nous parle en image et nous rejoint dans notre amour des chiffres.
Jésus nous rappelle une dette colossale : 60 millions de pièces d’argent , qui n’est qu’un faible reflet de ce que nous devons à Dieu : car nous lui sommes redevables de tout ce que nous voyons de bon en nous, comme le dit St Paul, et « Dieu en nous créant vit que cela était très bon ».
Est-ce que nous considérons d’abord la vie que le Seigneur nous confie, la nôtre et celle de nos proches, comme le signe d’une relation de confiance de Dieu à notre égard ? Accordons-nous au Seigneur notre confiance en retour pour tout ce qu’Il nous a confié, pour nous et pour les autres ?
La révélation de la parabole n’est pas d’abord de montrer une image de Dieu qui nous demande des comptes. Elle est le miroir qui nous montre notre peu de reconnaissance qui, si nous n’y sommes pas attentifs, nous conduit au vieillissement du cœur ; peut-être même, tout en implorant la patience de Dieu, pouvons-nous nous scléroser dans la suffisance en imaginant pouvoir lui dire : « Je te rembourserai tout ».
Malgré cette inconscience et cette suffisance, notre Maître, saisi de pitié, nous rend la liberté d’aimer, espérant pénétrer notre cœur de cette relation de confiance toujours renouvelée, qui est le don au-delà de tout don, son par-don.
La source vive du pardon peut « changer notre cœur de pierre en cœur de chair » qui, loin de se montrer impitoyable envers nos compagnons pour une dette dérisoire, se laisse façonner par l’Esprit-Saint, de chute en chute et de pardon reçu en pardon partagé, dans une intimité toujours plus reconnaissante envers Dieu, notre Père, qui nous a créé à son image et à sa ressemblance.
Notre Simon-Pierre, d’avant la Pentecôte, ne l’a pas compris : il nous est proche, nous lui ressemblons, accompagnons-le dans son cheminement à la suite de Jésus. Il espère se réfugier d’abord dans un espace bien limité, pour éviter de souffrir de ces piqûres d’épingle incessantes : combien de fois pardonner ? Il garde sa fierté et fuit la faiblesse. Nous dirions aujourd’hui : je veux bien être gentil, mais je ne suis pas un paillasson ! Le saint curé d’Ars nous donne une belle image que nous pouvons transposer pour comprendre la réponse de Jésus : « le cœur unit à Jésus par la prière et le pardon est comme une éponge imbibée de l’Esprit-Saint, toujours souple entre ses mains » et qui efface nos péchés et ceux de nos proches.
Acceptons de devenir cette éponge qui, loin de se durcir et se dessécher, accueille dans la prière et la rumination de la Parole de Dieu, le pardon sans mesure de notre Père, Son pardon est cette eau vive qui sort du côté ouvert de Jésus sur la Croix. Il nous invite à partager ce pardon sans limite, de tout notre cœur, avec nos compagnons de route. Le pardon est le gage de l’esprit filial et fraternel, chemin du vrai bonheur, Alliance d’amour que le Seigneur nous offre à chaque eucharistie et qui jaillit en Vie éternelle.
Frère Jean_Marie
Moine du Bec