Entre le récit de la naissance du Baptiste que nous venons d’entendre et le dernier verset qui clôt cet évangile, se place le cantique de Zacharie, son père : Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut, car tu marcheras par devant sous le regard du Seigneur, pour préparer ses routes… (Lc 1, 67-79) Jean est le dernier et le plus grand des prophètes ; Jésus affirmera même qu’il est plus qu’un prophète, ajoutant, pour la lui appliquer, la parole de Malachie (Ml 3, 1): C’est lui dont il est écrit : « Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi ». (Lc 7, 26-27)
Un prophète ? Communément, on pense que c’est quelqu’un qui prédit l’avenir, qui annonce des événements à venir… Cela a existé, certes, mais ce n’est pas la mission première du prophète. Le prophète est choisi et envoyé par Dieu, pour lire, dans le grand livre du présent, Son appel à la conversion ; il inscrit l’actualité dans la dynamique de l’histoire, la grande histoire du Salut de Dieu, le temps long, dirait-on aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un voyant, d’un augure, mais d’un homme ou d’une femme a qui Dieu révèle le sens de ce qui advient, dans la perspective de Sa Promesse.Pour Israël, la sortie d’Égypte, l’Alliance du Sinaï, le don de la Terre, la création du Royaume conduisaient le Peuple saint de Dieu à attendre et à accueillir celui que tous les prophètes avaient annoncé, le Messie, fils de David, Fils de Dieu.
Jean, dit l’ange à Zacharie, sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin, ni boisson fermentée et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère. Il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; et il marchera par devant sous le regard de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour « ramener le cœur des pères vers leurs enfants et conduire les rebelles à penser comme les justes, afin de former pour le Seigneur un peuple préparé » (Ml 3, 24). (Lc 1, 15-17)
Le Précurseur, que l’ange dépeint sous les traits d’un prophète, pensait que sa mission s’arrêtait aux frontières d’Israël. Il devra accepter que Jésus aille aux marges, dans les territoires païens, et, sur sa parole, il adhèrera à ce qui dépassait sa conception du Salut de Dieu. Il attendait un Messie juge qui restaurerait l’ordre moral, éliminerait les abus de toutes sortes dont s’était rendu coupable le peuple, rétablirait la Loi dans sa pureté première. Or Jésus n’est que miséricorde à l’égard des pécheurs repentants, se fait proche des déviants et met en cause les observants qui n’ont pas besoin de pardon, déclare que la charité l’emporte sur les sacrifices.
Jean ira jusqu’à douter de son cousin. A la question que posent à Jésus ses envoyés : Es-tu celui qui doit venir ?, celui-ci répond en les renvoyant à la prophétie d’Isaïe : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : « Les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Is 35, 5-6 et 61, 1). (Lc 7, 18-23) ) Peut-il douter, après cela, de la parole de Jésus qui le déloge d’une conception trop étroite de l’élection d’Israël ?
Cette réflexion sur la mission prophétique de Jean nous interroge : comme baptisés, nous sommes, dans le Christ, prêtres, prophètes, rois.
Prophètes, en ce sens que nous sommes appelés à reconnaître, dans tout ce qui nous arrive, tout ce qui advient, la matière sacramentelle de la genèse des temps nouveaux, même en creux. Dans la pandémie que nous venons de traverser, qui sévit encore dans bien des pays, nous devrions reconnaître un appel à changer nos comportements, à être plus solidaires, à respecter la création…
Ce n’est pas Dieu qui l’a voulue et déclenchée, mais, en tant que chrétiens, nous devons dépasser une lecture politique, économique de cet événement, pour l’insérer dans l’histoire de la réalisation progressive du Salut de Dieu. Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, écrira Paul aux Romains (Ro 8, 28).
Si nous ne sommes pas prophètes, en ce sens, nous manquons notre vocation. Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son Esprit, s’écrie Moïse (Nb 11, 29) à l’intention de Josué qui veut faire taire Eldad et Médad. Les signes des temps, apprenons à les interpréter. (cf. Mt 16, 3)
Fr. Paul-Emmanuel
Abbé du bec