Avec l’évangile d’aujourd’hui, nous sommes à un tournant de la vie du Christ, à un tournant de notre marche avec le Christ.
Jésus durcit son visage en prenant la route de Jérusalem, comme l’avait annoncé Isaïe en décrivant le Messie comme le Serviteur souffrant (Is 50,7).L’attitude des apôtres et le récit de trois brèves rencontres nous montrent comment faire route avec Jésus dans une vraie liberté.
Jacques et Jean, s’inspirant – à faux – du prophète Elie, interviennent auprès de Jésus : » Veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour détruire ces samaritains hérétiques qui refusent de te recevoir ? » Jésus les réprimande, et nous, à travers eux, qui sommes prompts à “foudroyer les autres” dès qu’ils nous contrarient. On peut aisément deviner ce que Jésus, le prédicateur des béatitudes, dit aux disciples : « Heureux les – doux, les artisans de paix… faites du bien à ceux qui vous haïssent. »
Se présente sur le chemin un homme généreux : vous et moi. Je te suivrai partout où tu iras. Jésus sonde sa détermination : les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Jésus n’a pas de territoire à défendre. Son amour est sans défense. Aimer comme lui, où cela va-t-il nous mener ?
Un homme rencontré – vous et moi – est interpellé par Jésus : Suis-moi. Celui-ci temporise : Permets-moi d’abord d’aller enterrer mon père. La réponse de Jésus: Laisse les morts enterrer les morts, ne s’oppose pas au commandement qui demande ‘d’honorer son père et sa mère’. Jésus rappelle que le don total de sa vie associé à son appel , ne s’accueille que dans un cœur totalement ouvert et habité par cette soif de Vie éternelle que Jésus lui donne en l’appelant.
Un autre encore – vous et moi – veut d’abord faire ses adieux à ses proches. En soi, rien que de normal. Mais ces adieux semblent prétexte à retarder la décision. Je te suivrai, mais d’abord… Or Jésus attend de son offre inconditionnelle de salut une réponse de confiance immédiate: la disposition du cœur à le suivre doit être totale et sans arrière-pensée. Celui qui met la main à la charrue n’est pas fait pour le royaume de Dieu, s’il regarde en arrière car son sillon dévie de la droite ligne. De même, le moment de l’appel implique d’emblée l’attention entière, sans la diversion d’un regret, d’un retour en arrière.
Laisse-moi d’abord, permets-moi d’abord, qui réserve le Oui pour après. Comme si notre liberté devant Dieu dépendait de notre seul libre-arbitre ayant épuisé toutes les perspectives, alors que Jésus désire éveiller, en nous associant au don de lui-même, notre vraie liberté, le meilleur de nous-mêmes pour notre bonheur. Comment nous situons-nous par rapport à l’appel du Christ aujourd’hui ? Combien de fois retardons-nous notre oui à Dieu quand il nous appelle à le suivre ?
Il est vrai que son appel ne peut être reçu que dans la foi, la confiance en sa promesse .Il faut accepter la désappropriation (pas de pierre où reposer sa tête), le rejet (comme en Samarie), la solitude (laisse tes parents), la longue et pénible route, le passage par l’échec – mais c’est à la suite de Jésus un chemin de liberté intérieure où l’Esprit-Saint nous est donné.
Tenez bon, nous dit aujourd’hui St Paul, car Si le Christ vous a libérés ce n’est pas pour que vous repreniez les chaînes de votre ancien esclavage , mais pour être vraiment libres. Nous sommes appelés à vivre cette liberté que le Christ nous offre. Liberté ! Mot qui nous galvanise, mais dont Paul commence par dénoncer les contrefaçons. Liberté n’est pas libertinage, laisser-aller, prétexte pour satisfaire l’égoïsme.
Combien de chrétiens, par exemple, auxquels on a expliqué qu’il vaut mieux aller à la messe en se décidant soi-même plutôt qu’en se laissant pousser par un commandement, en sont arrivés au quasi-abandon de la messe du dimanche ! Ce genre de fausse liberté, que Paul appelle égoïsme, est destructeur, surtout pour l’esprit communautaire : et cela aboutit à nous mordre et nous dévorer les uns les autres. La liberté chrétienne est toujours au risque de la confiance. Elle est amour et se résume dans le : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Quand je me laisse guider par l’amour et le respect d’autrui, je n’obéis plus aux tendances égoïstes de la chair, de ma nature, mais je vis sous la conduite de l’Esprit Saint.
Paul sait que c’est difficile au point que nous sommes empêchés de faire le bien que nous voudrions. Pensons aux nombreuses contraintes d’aujourd’hui : la manipulation d’une information déformée, la consommation, l’argent et le pouvoir, tout-puissants – sans oublier notre propre peur de ce que pensent les autres, et qui nous enchaîne. Mais si nous tenons bon, si nous nous laissons conduire par l’Esprit Saint, nous devenons ce que nous sommes : vraiment libres.
Prions l’Esprit d’être ouverts à l’appel du Seigneur sans tergiverser : Viens, Esprit libérateur ! Souffle ! Sur nos communautés, mais aussi sur moi-même, toujours tenté par des cadres faussement sécurisants qui me détournent de répondre du profond de mon être à l’appel du Christ.
Viens, Esprit, souffle sur mes angoisses inutiles, mes scrupules paralysants… que je sois libre de la liberté du Christ qui me précède et qui m’appelle à le suivre dans l’évangile.
En communiant, d’eucharistie en eucharistie, à la Pâque du Christ nous entrerons avec Jésus ressuscité dans la liberté des enfants de Dieu, dans la vie de lumière dès aujourd’hui, pour la gloire du Père.
Fr. Jean Marie