Évangile : « Les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! »
En ce temps-là, Jésus partit et se rendit dans le territoire de Tyr. Il était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache, mais il ne put rester inaperçu : une femme entendit aussitôt parler de lui ; elle avait une petite fille possédée par un esprit impur ; elle vint se jeter à ses pieds.
Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance, et elle lui demandait d’expulser le démon hors de sa fille. Il lui disait : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Mais elle lui répliqua : « Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! » Alors il lui dit : « À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. » Elle rentra à la maison, et elle trouva l’enfant étendue sur le lit : le démon était sorti d’elle.
Homélie :
La Vie de sainte Scholastique nous serait totalement inconnue si Saint Grégoire le Grand ne l’avait sauvée de l’oubli en lui consacrant deux chapitres de ses Dialogues dont le deuxième est consacré à la vie de saint Benoît. Encore ne rapporte-t-il que la fin de la vie de Scholastique. À partir de là nous pouvons imaginer la vie régulière qu’elle menait avec ses sœurs dans son monastère, une régularité rompue une fois l’an par sa rencontre avec son frère, à mi-chemin de leurs monastères.
Elle était donc consacrée à Dieu depuis ses jeunes années, vivant fidèlement son engagement à la suite du Christ, jour après jour. Elle était parvenue à une profonde intimité avec Dieu.
Saint Grégoire rapporte la dernière rencontre du frère et de la sœur, rencontre qui rompt avec la tradition sur l’initiative de la moniale qui désire poursuivre toute la nuit le divin colloque. Et l’on connaît la suite : La prière de Scholastique immédiatement exaucée, la contrariété de Benoît, l’orage et la pluie torrentielle qui les obligent tous à rester jusqu’au matin, et, finalement, la joie du colloque spirituel, avant-goût du ciel ou Benoît verra l’âme de sa sœur pénétrer trois jours plus tard.
Cet épisode peut nous inspirer quelques réflexions qui sont des éléments d’un portrait spirituel de sainte Scholastique.
La moniale est parvenue au terme de sa vie. Cet entretien spirituel marque l’aboutissement d’une longue fidélité. Sa vie a été entièrement consacrée à Dieu. Elle a écouté et médité sa parole. Elle a chanté sa louange dans l’office divin. Elle vit dans la prière continuelle qui affleure dans cette rencontre avec son frère. La prière liturgique et la prière personnelle, chez elle comme chez tous ceux qui choisissent de se consacrer à Dieu, se nourrissent et se soutiennent mutuellement. Comme l’écrit le pape François dans sa constitution apostolique : » Chercher le visage de Dieu ». » En récitant et chantant les louanges du Seigneur avec la liturgie des heures, vous vous faites la voix aussi des hommes et, comme le faisaient les prophètes, vous intercédez pour le salut de tous. La prière personnelle vous aide à rester unis au Seigneur, comme les sarments à la vigne, et ainsi votre vie portera du fruit en abondance. » (Vultum Dei quaerare, n°16).
Cette parole du Pape concerne tous les consacrés comme tous les baptisés désireux d’entrer dans l’intimité du Seigneur et la prière de l’Eglise.
Dans cette place capitale accordée à la prière sous sa double forme, on peut voir la « meilleure part » choisie par Marie. En effet, l’écoute de la Parole et sa méditation, la prière liturgique et personnelle doivent imprégner notre vie et la transformer. C’est justement pourquoi il ne faut pas opposer Marthe et Marie. Elles sont sœurs et non rivales. Ensemble elles représentent deux faces de nos propres vies. Chacun de nous est appelé à la prière et l’amour de Dieu n’est vrai que s’il est traduit en actes dans l’amour fraternel.
Même si Saint-Grégoire n’en parle pas, sainte Scholastique – comme Saint-Benoît, nous le savons trop bien par sa Règle – a vécu le quotidien avec les travaux et le service de ses sœurs. Son amour a grandi jour après jour dans sa fidélité à son engagement.
Une autre réflexion que peut nous inspirer ce récit de Saint-Grégoire et qui est à peine exprimée, c’est l’humilité de sainte Scholastique. Nous venons de lire le chapitre 7 de la règle consacré à l’humilité, avec ses 12 degrés. Arrivé au sommet, avec le 12e degré et la conclusion du chapitre, il nous semble que Sainte-Scholastique y est parvenue à force de persévérance. Elle a été façonnée dans le quotidien, en s’appuyant sur la grâce du Seigneur. Elle lui a ouvert son cœur, reconnaissant comme tout disciple qu’elle n’est pas au-dessus du maître et le suivant sur son chemin pascal. Elle s’est abandonnée à sa volonté en renonçant à la sienne propre. C’est pourquoi elle a pu adresser au Seigneur une prière humble et confiante qui a été immédiatement exaucée. Saint Grégoire constate, avec un émerveillement légèrement teinté d’humour : » il n’y a pas d’intervalle entre sa prière et la pluie torrentielle, mais quand elle leva la tête on entendit tonner, et il sembla que son geste à lui seul déclenchait la pluie. »
Enfin, poursuivant cette réflexion, nous remarquons que cette humilité qui est devenu chez elle comme une seconde nature tant elle imprègne tout son être, lui donne la liberté de l’amour. Sans doute n’aurait-elle pas osé cette demande un peu folle au début de sa vie monastique. Relisons la conclusion de Saint-Benoît dans le chapitre sur l’humilité : »Une fois gravis, donc, tous ces degrés d’humilité, le moine parviendra bientôt à cette charité de Dieu qui, parfaite, pousse dehors la crainte. Par elle, tout ce que d’abord il observait non sans appréhension, il commence à le garder sans labeur, comme naturellement et par habitude, non plus par frayeur de la géhenne, mais par amour du Christ, par habitude acquise et joie de la vertu. »
C’est bien l’amour que ça Grégoire a reconnu chez elle : « Selon le mot de Jean, » Dieu est amour ». « Par une juste balance, obtint davantage qui plus est aima. » L’amour en effet peut vraiment combler le cœur. Il dépasse nos observances et nos appréhensions. Comme le dit le Cantique des Cantiques : » l’amour est fort comme la mort. » On devrait dire » plus fort que la mort » car il aura le dernier mot.
Ce dernier mot, Scholastique l’a entendu : C’est l’invitation de l’Agneau dans le livre de l’Apocalypse : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau. »
Frère Claude
Prieur du Bec