Sainte Françoise Romaine – 9 Mars 2021 – (Lc 2, 22-38)

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Catégorie : Homélies

Évangile : « Syméon et Anne »

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur.

Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.Homélie de la fête de Sainte-Françoise Romaine. Mardi 9 mars 2021

S’il fallait s’en tenir au catalogue traditionnel de la sainteté dans l’Eglise, nous n’aurions de la vie et de la vocation de Françoise, classé parmi les veuves, qu’une vision réductrice et incomplète. Le veuvage n’occupe en effet que ses quatre dernières années alors que la vie conjugale recouvre la majeure partie de son existence, soit quarante ans.

Désirant dès l’enfance se consacrer à Dieu, elle accepte néanmoins, en fille obéissante à la volonté paternelle et selon la coutume de l’époque, d’épouser, à l’âge de douze ans, Lorenzo de Ponziani. C’est dans son état d’épouse, de mère et de maîtresse de maison qu’elle réalise pourtant sa consécration à Dieu. Devenue veuve en 1436, alors seulement elle rejoindra ses filles à Tor de Specchi, en la fête de Saint Benoît. Sœur Marie-Serge observe justement : “Si le temps des réalisations fut remarquablement court, de longues préparations l’ont précédé : la fondatrice a porté son œuvre monastique dans les secrètes racines de son cœur pendant toute sa vie”.

Ainsi, à travers les exigences parfois contradictoires de son devoir d’état et de son aspiration à la prière et à la charité, elle se laisse conduire par la volonté de Dieu, trouvant en celle-ci le principe unificateur de toute sa vie.

Les textes que nous venons d’entendre rejoignent en bien des points la vie de sainte Françoise et éclaire plusieurs facettes de sa personnalité. Le parallèle avec Judith, et aussi avec la prophétesse Anne de l’évangile selon Saint Luc, ne saurait s’arrêter à leur commun veuvage. Toutes pratiquent le jeûne et la prière. Françoise, comme Judith, veille sur un domaine comprenant de nombreuses personnes et de grands bien.

Mais leur rayonnement tient surtout au rôle qu’elles ont joué au milieu de leur peuple. Judith libère sa ville de Béthulie du joug imposé depuis de longues semaines par les Assyriens. Son exploit lui vaut la louange unanime des anciens et du peuple : « Tu es la gloire de Jérusalem ! tu es l’allégresse d’Israël ! tu es le grand honneur de notre race ! ». En des termes assez proches, la liturgie de cette fête chante l’éloge de Françoise dans une antienne : “oui tout le peuple le sait bien qui réside entre les portes de la cité : Ô bienheureuse Françoise ! tu es une femme de grande valeur.”

Pourtant, Françoise ne s’est pas illustrée par des exploits guerriers comme cela arrivait à son époque. C’est par son rôle de conseillère, de pacificatrice et de réconciliatrice dans une société en proie aux vengeances et aux factions qu’elle a su se distinguer. De plus, sa charité se déploie sans compter envers les pauvres et les malades. Elle a été considérée comme la mère de la cité.

Mais si les conflits politiques l’atteigne jusqu’au plus intime de sa vie familiale, elle souffre tout autant de la brisure de l’Eglise, sa mère. Jusqu’à l’âge de trente ans, elle ne connaît celle-ci que divisée par le grand schisme et verra même pendant cinq ans trois papes concurrents se disputer l’autorité de Pierre. Comme Syméon et Anne qui attendaient la consolation d’Israël, elle ne cesse de prier pour l’unité qu’elle verra rétablie. Mais, à la fin de sa vie, elle interviendra encore auprès du pape Eugène IV à propos du conflit qui l’oppose au concile de Bâle et menace l’Église d’une nouvelle rupture. Son amour de l’Église en qui elle reconnaît l’épouse du Christ s’enracine dans l’amour de celui-ci à qui elle a offert tout son être.

Le grand acte de sa vie est justement son oblation. Préparée par une vie de prière intense et par la pratique de la charité en compagnie de plusieurs dames romaines, elle donne à ce qu’elle vivait une réalité ecclésiale. Le 15 aout 1425, elle s’offre à Dieu sous la règle de Saint Benoît pour le monastère des moines de Sainte Marie la Neuve. Au bout de quelques années, ce groupe d’oblates deviendra une communauté de moniales.

Par ce geste d’oblation, Françoise offre librement à Dieu tout son être et communique pleinement à l’oblation du Christ : “Il s’est offert de son plein gré.” Elle perçoit le sens profond de cet acte dans ses entretiens avec le Seigneur. Dans le récit d’une vision qu’elle eut un jour, en la fête de la présentation de Jésus au temple, il est dit : “la bienheureuse entendit une voix sainte qui lui disait : qu’en telle façon l’âme se devait offrir et donner au Seigneur toute libre, qu’elle ne soit pas retenue par nulle chose et de nulle part, mais toute librement donnée, détachée et séparée de tous les obstacles, tout entière délivrée et libre devant le Seigneur. “

Son oblation l’identifie à Marie qui offre au Père le Christ enfant, disant : “ Père éternel et tout-puissant je te rends ton fils ce qui est tien, qu’il soit tien.” Françoise elle-même reçoit Jésus enfant dans ses bras et, comme Marie le remettant à Siméon, elle va le porter à Dom Hippolyte. Cet acte majeur dans le cheminement de Françoise explique le choix de l’évangile de cette fête. Le Christ est à la fois celui qui est offert et celui qui accepte l’offrande. L’oblation identifie Françoise à celui à qui elle consacre sa vie.

Si Françoise connaît la liberté de l’amour dans la remise de soi, c’est grâce à son obéissance aux appels de l’esprit. Ceux qui se laissent conduire par l’esprit Saint sont amis de Dieu. Et, nous dit Saint Paul : “Nous savons qu’avec ceux qu’il aime, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessin.” A travers les épreuves et les joies, dans les différents états de vie et les missions qui lui ont été confiées, Françoise s’est laissé conduire. Elle a adhéré de tout son être à cette exigence de l’amour comme la voie divine le lui enseignait : “dans la souffrance et dans ce qui atteint les sens, que l’âme se voit tout unie, qu’elle soit stable, libérée du non et du oui, qu’elle soit réformée, abandonner dans le Seigneur. Lorsque l’âme est abandonnée et tout énamourée et s’enflamme et brûle dans la chaleur, transformée dans la haute charité, la divine déité lui donne de douces saveurs. “ Ainsi Françoise est habitée par les trois personnes divines et peut célébrer la gloire de Dieu dans la louange de l’Église, l’esprit dilaté dans la douceur de l’amour.

En ce jour rendons grâce au seigneur pour Françoise sa servante et pour le chemin qu’elle nous a tracé. Son charisme demeure vivant aujourd’hui dans l’Église. Qu’elle intercède pour nous qui marchons à la suite du Christ et lui avons offert nos vies.

 

Père Claude
Prieur du Bec