saint Benoit 2020 (Mt 19, 27-29)

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Pour comprendre la radicalité de cette parole, il faut la rattacher à l’épisode de la rencontre de Jésus avec un jeune homme riche, immédiatement avant : Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ?, demande l’homme à Jésus. Celui-ci lui répond en l’invitant à garder les commandements. Tout cela, je l’ai observé, que me manque-t-il encore, reprend l’autre ?

Si tu veux être parfait, dit Jésus, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens suis-moi !

Les disciples ont été témoins de ce dialogue, ont vu partir tout triste le jeune homme, et se demandent qui pourra être sauvé, si c’est si difficile ? La réponse de Jésus est claire : Aux hommes, c’est impossible, mais à Dieu tout est possible. Ici commence l’évangile de ce jour.

L’amour est jaloux : pas envieux, mais requérant le don total de soi, sans retour et sans cesse réoffert. Le vrai moine peut tomber, reculer, piétiner, ce n’est rien, s’il croit au pardon de Dieu et garde les yeux fixés sur le Christ obéissant à son Père.

En préparant cette fête, je me disais que le moine chrétien n’est pas le seul à tout quitter, à prendre de la distance par rapport à son environnement, à vivre une intériorité radicale avec pour unique propos celui de trouver la sagesse qui lui permettra de se conduire selon la justice, l’équité, la droiture, et d’acquérir ainsi le vrai bonheur. Il y a probablement quelque parenté entre les Esséniens du temps de Jésus, et les moines bouddhistes d’aujourd’hui. Mais nous, moines chrétiens, qui, comme les Douze, avons tout laissé et avons suivi le Christ, qu’en sera-t-il pour nous ?

Le motif de notre renonciation au monde, même s’il est induit par une recherche du silence et de la solitude, une aspiration à vivre simplement, libéré de tous les superflus qui encombrent l’homme contemporain, une conscience vive que l’écologie intégrale est la juste réponse aux défis générés par les excès de la culture du profit, de la production, de la consommation, (le motif profond de notre choix de vie) est autre : il est le Christ !

L’attrait du ‘désert’, le besoin d’intériorité et d’unité personnelles sont de l’ordre de la psychologie, mais pas forcément signe de vocation. Bien sûr, Dieu peut s’appuyer sur ces traits de tempérament, pour appeler quelqu’un à suivre le Christ ; mais on a vu des hyper actifs, des hommes et des femmes de relation, des bons vivants tout quitter pour se consacrer à Dieu. Il est là, le propre du moine chrétien : c’est le « pour te suivre » qui est le motif premier, exclusif de notre renonciation à tout ce qui fait ordinairement la vie de l’homme et, il est souhaitable, son bonheur. Il n’est pas demandé au moine de quitter un monde qui serait mauvais, pour entrer dans un univers idéal, parfait, aseptisé ; il lui est demandé s’il accepte de suivre Christ par amour, jusqu’à Pâques. C’est Pâques qui induit le « tout quitter ».

L’ascèse n’est pas un but ; elle n’a même pas de valeur en soi, si ce n’est l’acquisition d’une maîtrise de ses besoins, de ses émotions, de ses choix. Elle peut devenir, de ce fait, très dangereuse, le comble de l’orgueil, puisqu’elle refuse la grâce. L’amour, par contre, donne sens à la vie et appelle tous les renoncements auxquels l’homme, pas seulement le moine, choisit librement de consentir. Avec joie, écrit saint Paul aux Colossiens, rendez grâce au Père qui vous a rendu capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Voilà le « beaucoup plus » que ce que nous avons donné de nous, qui nous est promis par le Seigneur.

Seulement, rappelons-nous ce que disent tous les Pères : donner sa fortune aux pauvres, obéir à un abbé et à une règle de vie, travailler avec persévérance à contenir ses désirs, tout cela ne nous mène à rien, si nous gardons ne serait-ce qu’une once de volonté propre : mon temps, mes effets personnels, et même mes soucis… L’amour est jaloux : pas envieux, mais requérant le don total de soi, sans retour et sans cesse ré-offert. Le vrai moine peut tomber, reculer, piétiner, ce n’est rien, s’il croit au pardon de Dieu et garde les yeux fixés sur le Christ obéissant à son Père. Car nous ne sommes pas des modèles pour les autres ; nous sommes signes pour eux que le Christ est l’image de Dieu, le Premier-né de Ses héritiers que nous sommes tous.

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec