5ème dimanche de Carême 2020 -A-
Pour Lazare, il y aura un ‘avant’ sa mort et un ‘après’ son retour à la vie, mais ce sera la même vie, à la différence de la résurrection du Christ, qui sera la sienne et la nôtre.
‘Avant’, il travaillait, il priait, il mangeait, il dormait, il avait une vie familiale, une vie communautaire et sociale (cf. Mt 24, 37-44).
‘Après’, il reprendra la même vie, mais avec une conscience plus vive du sens de tout cela : son existence terrestre aura une fin, mais doit le conduire à se rapprocher progressivement, tous les jours, de la vie d’en-haut, la vie en Dieu, la vie éternelle qui n’est pas le fruit de la chair et du sang, pas le fruit d’une volonté d’homme, mais le don gratuit de Dieu (cf. Jn 1, 13).La nouveauté, la grande nouveauté dont le miracle de Béthanie est le signe annonciateur, c’est que, dans le Christ ressuscité, notre vie présente et cette vie d’en-haut coexistent, par la grâce du baptême. Notre Profession monastique tend à l’exprimer, à l‘état pur. C’est ce que dit Paul : « Vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous l’emprise de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous… Si le Christ est en vous, votre corps a beau être voué à la mort à cause du péché, l’Esprit est votre vie, parce que vous êtes devenus des justes. » (Ro 8, 9-10)
Mais cette situation n’est pas simple à vivre : notre nature, et c’est heureux, nous tire souvent vers le bas et, plus ordinairement, nous alourdit, nous freine, dans notre marche à la suite du Christ qui, lui, nous entraîne avec lui, selon la même image, vers le haut.
Rappelons-nous saint Paul : « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en-haut, là où se trouve le Christ… Revêtez donc des sentiments de compassion, de bienveillance, de douceur, de patience… Supportez-vous les uns les autres, et si quelqu’un a un grief contre l’autre, pardonnez-vous mutuellement ; comme le Seigneur vous a pardonnés, faites de même vous aussi. Par-dessus tout, revêtez l’amour… (Cl 3, 1…15) C’est déjà l’ébauche de la vie nouvelle, la vie d’en-haut.
Le combat spirituel se situe là : nous devons aborder notre quotidien comme le chemin le plus direct vers Dieu. Cela donne du poids, du prix au moindre geste, au plus infime événement, à la rencontre la plus ordinaire. Et s’il arrive que nous nous laissions noyer ou plomber par la lourdeur de notre humanité, la grâce de Dieu nous sera toujours donnée pour nous ramener à la réalité de notre identité d’enfants de Dieu, à notre vocation de sel de la terre, de lumière du monde. (cf. Mt 5, 13-16)
On comprend pourquoi cet évangile est proposé aux catéchumènes, à la veille de leur baptême. Immédiatement, par ce signe, Jésus préparait les cœurs à le reconnaître bientôt ressuscité ; plus loin, il voulait nous assurer que nous ressusciterions avec lui, et que la vie nouvelle qui coulerait dans nos veines nous amènerait à accorder, à ajuster continuellement notre vie présente à notre destinée à venir et déjà réalisée, en lui, le Premier-né de la création nouvelle. « (Dieu) qui a ressuscité jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » Ro 8, 11)
L’actualité, en bloquant brutalement toute activité et en nous confinant chez nous, nous ramène aux questions existentielles à nous poser. Le monde nous offre des réponses impuissantes à satisfaire nos vrais besoins : l’argent, le progrès, le confort, le plaisir, le succès… Nous nous laissons nous aussi infecter par ce virus, en confondant nombre, notoriété, relations, constructions, avec la bénédiction de Dieu… Nous sommes ici pour Dieu, à la suite du Christ ; cela doit nous suffire et nous combler.
Fr Paul-Emmanuel
Abbé du Bec