CHAPITRE 54 : SI UN MOINE PEUT RECEVOIR DES LETTRES OU AUTRE CHOSE.
Dimanche 6 août, solennité de la Transfiguration :
Dans ce chapitre, saint Benoît nous rappelle, une fois de plus, la nécessité de la désappropriation. C’est la logique de notre profession monastique : ne rien recevoir ni posséder. C’est la suite du renoncement à notre volonté propre, de notre vœu d’obéissance. Même le fait de recevoir ou de disposer d’un objet reçu sans autorisation, signifie que l’on n’a pas renoncer à tout pour suivre le Christ. « Ne rien préférer à l’amour du Christ » rappelle souvent saint Benoît.
Le fait de garder quelque chose montre qu’on ne s’est pas donné tout entier, qu’on se garde encore un peu de liberté et d’autonomie. Le détachement de concerne pas seulement les biens matériels, mais surtout la volonté propre.
En cette fête de la Transfiguration, nous sommes invités à suivre Jésus comme les apôtres l’ont suivi, et à marcher avec lui vers sa Passion et sa Résurrection. Lui-même « n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu », comme le dit saint Paul dans son épitre aux Éphésiens., mais il a abandonné jusqu’à sa vie pour la recevoir en plénitude du Père.CHAPITRE 55 : DES VÊTEMENTS ET CHAUSSURES DES FRÈRES.
Lundi 7 août :
Comme pour la nourriture, le principe de saint Benoît, à propos des vêtements, est qu’il faut avoir le nécessaire et éviter le superflu. Il ajoute qu’ils doivent être adaptés à chacun, en fonction de sa taille et de ses besoins. Il y a là une attitude d’esprit et de cœur que l’on retrouve en d’autres domaines de la vie monastique. Ce qui faut éviter, c’est l’appropriation comme la négligence ; on doit prendre soin de ses vêtements sans tomber dans une recherche excessive.
Progressivement, l’habit du moine s’est distingué de l’habit laïc ordinaire pour devenir le signe de son état de vie et une protection contre le monde. Il a le caractère symbolique du changement de vie, et ce changement est signe de mort au monde et vie pour le Christ. De plus, il est un signe d’unité en évitant l’accentuation des différences entre les frères dans la communauté.
Mardi 8 août :
On retrouve dans ce chapitre ce principe de saint Benoît qui est l’attention aux personnes, tout en faisant preuve de sévérité, car il ne se contente pas d’établir des principes rigoureux et intangibles, mais il faut que ces principes soient compatibles avec la faiblesse et le tempérament de chacun, comme aussi avec les conditions de vie de chaque époque.
Mais il est une règle qu’on ne peut transgresser sinon on n’est plus vraiment disciple du Christ, c’est celle du renoncement à la propriété et saint Benoît est sévère sur le risque de recevoir quelque chose par d’autres personnes autres que l’abbé.
Mais pour que cette règle soit applicable, elle doit être équilibrée par l’attention aux besoins de chacun et qui peuvent varier de l’un à l’autre. C’est donc à l’abbé de veiller à ce que chacun ait le nécessaire, ainsi il coupera court aux murmures et à l’envie. Ce que l’abbé doit chercher avant tout, c’est le salut des âmes. C’est pourquoi il fera preuve, à la fois de fermeté pour que chacun renonce à sa volonté propre et à toute propriété personnelle, mais aussi de bonté en étant attentif aux besoins de chacun et en tenant compte de la faiblesse humaine.
CHAPITRE 56 : DE LA TABLE DE L’ABBÉ.
Mercredi 9 août :
Ce petit chapitre sur la table de l’abbé pose en fait la question de l’hospitalité. Longtemps, surtout pendant les premiers siècles du monachisme, les monastères étaient presque les seuls lieux d’accueil pour les voyageurs et les pèlerins. Lorsque saint Benoît nous dit que l’abbé peut accueillir à sa table qui il veut et qu’elle est toujours avec celle des hôtes et des pèlerins, c’est en fait toute la communauté qui accueille par lui.
Cette tradition de l’hospitalité continue dans les monastères où les hôtes ne viennent pas seulement pour un accueil matériel ; leur séjour peut avoir aussi d’autres motivations d’ordre existentiel et spirituel. La table de l’abbé a donc un sens plus large que le seul aspect des repas qui ne sont pas exclus pour autant. C’est aussi la nourriture spirituelle et le ressourcement qui sont offerts par la communauté aux hôtes pendant leur séjour.
Quant à cette remarque finale sur la discipline au cours des repas, ne la négligeons pas non plus : d’abord par notre exactitude ; nous commençons ensemble les repas par la prière, et terminons par l’action de grâce ; ensuite par notre silence à table et notre attention mutuelle.
CHAPITRE 57 : DE CEUX QUI EXERCENT UN MÉTIER DANS LE MONASTÈRE.
Jeudi 10 août :
Pour bien comprendre ce chapitre, il faut le lire en commençant par la fin, et ce qui peut être surprenant ou même choquant pour un lecteur non averti, se précisera. En effet, le but de la vie du moine est « qu’en toutes choses Dieu soit glorifié. »
On pourrait croire que le lieu par excellence de la glorification de Dieu est l’oratoire et la célébration de l’office divin. Mais en fait, c’est par toute notre vie que nous devons glorifier Dieu pour la Lui offrir, et même totalement donnée. Et cette glorification passe par toutes nos actions : prière, lecture, travail, services, relations fraternelles, échanges… Même ce qui semble le plus banal n’est pas indifférent à Dieu.
Dans ce chapitre, la valeur essentielle qui donne sens à tout l’ensemble est l’humilité, car ce n’est pas la recherche de la performance artistique ou le rendement économique qui doivent être privilégiés. La qualité du travail et la beauté des œuvres réalisées sont importantes, de même que la ressource économique, mais tout cela doit être mis au service du bien de la communauté.
L’amour du travail bien fait et la commercialisation des produits montrent le sérieux du travail, mais ne doivent pas primer sur la recherche de Dieu et sur la charité fraternelle comme le sens du partage, l’attention aux autres et particulièrement aux plus faibles. Le travail ne doit pas dégénérer en orgueil ou en recherche du profit, mais nous devons toujours être animés par l’humilité, le détachement avec le service de Dieu et des frères. L’humilité nous libère de nous-mêmes et nous oriente totalement vers Dieu.
CHAPITRE 58 : DU RITE DE LA RÉCEPTION DES FRÈRES.
Vendredi 11 août :
Dans ce long chapitre sur la réception des frères, la première moitié décrit les étapes par lesquelles le nouveau venu doit passer pour s’engager dans la communauté. Et si le chemin semble long, c’est qu’il en est bien ainsi. C’est un temps de mise à l’épreuve, de confrontation, de découverte et d’apprentissage de la Règle : « On ne lui accordera pas une entrée facile », écrit saint Benoît à propos du nouveau venu. Pendant plusieurs mois, et même plusieurs années comme aujourd’hui, il apprend à connaître la Règle qui est une loi d’amour qu’on n’a jamais fini de découvrir, mais qui est un chemin sur lequel le moine peut progresser. On remarque ainsi la grande sagesse et la prudence de saint Benoît. Il parle certainement d’expérience, car il a pu voir au cours de son long abbatiat des candidats trop pressés courant à l’échec.
Ces étapes successives sont une sécurité pour le candidat car elles lui permettent de vérifier sa progression dans sa recherche de Dieu, dans son aptitude à accepter les épreuves et les humiliations, sa persévérance et son endurance dans la vie communautaire. Elles sont aussi nécessaires pour les anciens chargés de sa formation, car elles leur permettent de vérifier dans la durée son évolution. En même temps la liberté du nouveau frère est respectée, il avance étape après étape vers l’engagement définitif, en toute liberté. Ce long délai a justement pour but de ne pas lui imposer quelque pression qui pourrait créer de graves difficultés par la suite. Il doit pouvoir s’engager librement, avec l’acceptation de la communauté.
Samedi 12 août :
La seconde partie de ce chapitre décrit le rite de la profession monastique elle-même. Il se caractérise par les trois vœux que nous prononçons toujours, même si la formulation du second est légèrement différente par rapport au texte de la Règle : nous disons « conversion des mœurs » alors que saint Benoît parle de « vie de vertus monastique ». Les deux autres sont la stabilité et l’obéissance. Le frère prononce publiquement ses vœux devant toute la communauté, devant Dieu et tous les saints. Il s’offre à Dieu et à la communauté, mais il est important de remarquer que c’est aussi Dieu et la communauté qui le reçoivent. La communauté le reçoit au nom du Christ qui a bien l’initiative de l’appel, cet appel que nous avons tous entendu un jour !
On ne se fait pas moine comme on pourrait choisir n’importe quel métier. Dieu a l’initiative de l’appel, et l’Esprit Saint suscite au cœur du frère la recherche qui peut passer par toutes les médiations possibles, et la réponse à l’appel lorsque la lumière se manifestera. Tout le reste du rituel : charte, offrande de soi avec le verset du psaume 118 : « Accueille-moi Seigneur… », prosternation, reste identique pour marquer l’engagement dans la communauté.
Après cette promesse, le moine appartient à la communauté. Mais en envisageant la possibilité d’un retour en arrière, « ce qu’à Dieu ne plaise », dit saint Benoît, il rappelle implicitement que c’est chaque jour que nous devons répondre à l’appel initial de Dieu.
Il y a un autre point, fortement souligné par saint Benoît ici, c’est le renoncement total à toute possession : possession de biens et volonté propre, ce qui va jusqu’à l’abandon sur son propre corps. Ces deux dimensions expriment le renoncement à l’avoir comme à l’être, et c’est en parfaite contradiction avec l’esprit du monde et ses aspirations légitimes. En effet, l’épanouissement personnel suppose, aujourd’hui comme hier, l’aspiration à posséder et à disposer de sa liberté pour mener sa vie.
Frère Claude
Prieur du Bec