XXX. DES JEUNES ENFANTS, COMMENT ON LES CORRIGE.
Dimanche 6 novembre :
Ce qui est souligné dans ce chapitre, c’est la nécessité pour l’abbé, ou ceux qui sont chargés de la formation des frères, de bien discerner la personnalité de chacun d’eux. Chaque frère est unique, mais à âge identique, certains peuvent avoir plus de maturité que d’autres, et on ne peut donc pas réglementer dans l’abstrait pour tous. Il est donc important de bien connaître les frères et de donner à chacun les conseils appropriés. Bien sûr, cela n’empêche pas d’avoir un cadre commun et des règles pour l’ensemble, mais il faut concilier la rigueur et la discipline avec souplesse.
XXXI. DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE, QUEL IL DOIT ÊTRE.
Lundi 7 novembre :
En l’absence de Père Claude qui est à Mont-Olivet jusqu’au 19 novembre, nous proposons un commentaire de Dom Guillaume tiré de son livre de commentaires de la Règle : ‘’Ta lumière sur ma route’’ (Ed. Salvator, Paris, 2021) :
Ce que saint Benoît met en avant, pour le cellérier, ce n’est pas d’abord sa compétence : pour lui, c’est presque quelque chose de secondaire. En revanche, ce qui compte avant tout, c’est qu’il soit ‘’sicut pater’’, c’est-à-dire ‘’comme un père’’ et cela conduit à s’interroger sur deux conséquences.
La première de ces conséquences suppose de s’interroger sur le premier terme de l’expression ‘’comme un père’’. ‘’Comme’’, c’est-à-dire qu’il n’est pas le père de la communauté, mais il vit sa charge dans l’obéissance à l’abbé, par délégation de celui-ci. Et la seconde conséquence est que cette charge n’est pas appréhendée comme une simple fonction matérielle, mais comme une réelle paternité. En effet, ce qui caractérise la naissance à la paternité, que ce soit chez l’abbé, pour le cellérier ou pour tous les frères, se traduit toujours par une certaine manière d’être. Aussi, n’est-il pas nécessaire d’avoir une charge importante pour être ‘’comme un père’’, mais il faut plutôt avoir passé un seuil, être né à une autre dimension de sa propre vie intérieure.
Cette naissance à l’art d’être père pourrait être définie par deux traits caractéristiques. Tout d’abord, la distance par rapport à soi-même, à ses humeurs, à ses susceptibilités, à ses peurs, à son besoin d’être aimé et reconnu, parce que la vie de l’autre, la croissance de l’autre, le service de l’autre, ont pris la première place. On ne devient père qu’en donnant la vie à un fils.
Et ensuite, cela suppose aussi la capacité de s’effacer. Le problème n’est pas de réussir, d’être confirmé, mais que l’autre ‘’soit’’ et qu’il trouve sa place. Voilà ce que Jésus nous révèle de son Père, qui se fait connaître parce que son Fils Jésus ‘’est’’. Le problème, c’est de faire ‘’être’’, et non plus d’être pour soi.
Mardi 8 novembre :
« Surtout, qu’il ait l’humilité », s’exclame saint Benoît. Pour lui, en effet, voilà bien la qualité essentielle du cellérier, comme de tout frère qui exerce une charge dans le monastère : l’humilité.
Mais en quoi consiste cette humilité ? Saint Benoît s’en explique en trois points dans les versets qui suivent : Tout d’abord, l’humilité se révèle dans l’amabilité (v. 13-14), l’absence d’arrogance (v. 16). Même quand il n’a pas ce qu’on lui demande, et que cette demande lui paraît incongrue ou malvenue, le cellérier doit demeurer aimable. Par ailleurs, cette humilité connaît ses limites, car il s’agit de bien faire ce qui est demandé, mais pas au-delà. Saint Benoît craint ces gens qui se mêlent de tout et finissent par négliger ce qui leur est confié.
Enfin, cette humilité témoigne d’un grand respect pour les droits des frères. Pour saint Benoît, toute charge, toute autorité, est un service du pauvre, du petit, de celui qui doit demander. Tel est donc le visage proprement évangélique de toute fonction dans le monastère. Quelle que soit la charge que nous ayons, nous pouvons nous demander si nous respectons ces trois caractéristiques fondamentales de tout service communautaire : la bienveillance, le respect de l’autre, le principe de subsidiarité.
Le problème est que nous sommes toujours prompts à voir ce qui manque chez notre frère, mais nous avons du mal à balayer devant notre propre porte. Et, pour nous ouvrir les yeux, il y a une petite question toute simple à se poser : est-ce que les frères viennent à nous avec plaisir, ou viennent-ils avec l’air forcé de celui qui ne peut pas faire autrement ?
XXXII. DU MATÉRIEL DU MONASTÈRE.
Mercredi 9 novembre :
Pour saint Benoît, les objets ont leur importance dans la vie monastique. C’est pourquoi il n’en confie le soin qu’à « des frères dont la vie et les mœurs lui inspire confiance ». Ces critères pourraient nous paraître étranges, à nous qui estimerions plutôt que les qualités requises seraient d’avoir l’esprit pratique, le sens des affaires, ou l’habileté. Or, pour saint Benoît, la vie et les mœurs de ces frères doivent impérativement inspirer confiance. Pourquoi donc ?
Cela est bien moins étrange qu’il n’y paraît au premier abord, car s’il existe une sagesse qui mûrit avec la fréquentation de la Parole de Dieu et des Pères, il en est une autre, plus concrète, mais non moins réelle, qui s’enracine dans le contact avec les choses. Car les choses, les objets, sont eux aussi des maîtres de sagesse, des maîtres de vie. Sans que nous nous en rendions compte, ils nous façonnent au plus profond de nous-mêmes et ils nous guident [..]
Notre tradition monastique est riche, dans une même communauté, et parfois dans uns même personne, de la présence de ces deux sagesses : cette sagesse des mots qui embrase le cœur et cette sagesse du geste juste et beau qui apaise toutes choses. Il est bien vrai que les hommes qui ont la sagesse des choses reçoivent de cette école de vie une espèce de solidité, de force, qui inspirent confiance et qui permettent aux autres de s’appuyer sur eux. Cette sagesse-là est souvent silencieuse, discrète, mais elle est un facteur extraordinaire de paix et de sérénité dans une communauté.
XXXIII. SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE.
Jeudi 10 novembre :
Pour saint Benoît, la possession est le pire de tous les vices et cela peut nous étonner. En effet, si on nous demandait quel est le pire des vices, nous penserions plutôt à la luxure ou encore à la violence, à la colère ou à l’orgueil. En revanche, pour saint Benoît, le pire, c’est l’attachement aux choses.
Saint Benoît développe ici deux arguments. En premier lieu, les choses nous empêchent d’apprendre à attendre d’un autre, et alors le moine risque de s’imaginer qu’il se suffit à lui-même, qu’il n’a plus rien à attendre. Il est devenu auto-suffisant, il fait le chemin inverse du peuple d’Israël qui, dans le désert, en recevant la manne jour après jour, a appris que la vie était un don de Dieu, un don gratuit, une grâce. Le moine qui se fait offrir des choses ou en donne échappe ainsi à cette aventure intérieure, échappe à sa vocation profonde. C’est la dimension transcendantale de la pauvreté monastique.
Ensuite, saint Benoît tire un deuxième argument de l’Écriture : « Tout sera commun à tous » (Ac. 4, 32) [..] Ce second argument reprend le premier, c’est-à-dire le fait que tout est don de Dieu, mais le pousse un peu plus loin. Car la pointe du texte des Actes est que le lieu où Dieu manifeste sa grâce, en donnant à chacun ce dont il a besoin, c’est la communauté. C’est la dimension horizontale de la pauvreté monastique.
Celui qui garde les choses pour soi, qui se fait offrir des choses, se retire de la vie de l’Église, de cette communion de foi, de célébration, de partage. Il fait bande à part, il se marginalise. Pour saint Benoît, le vice de la propriété nous éloigne donc à la fois de Dieu, dont on n’attend plus rien, et des frères avec qui on refuse de vivre la communion de la première communauté chrétienne.
XXXIV. SI TOUS DOIVENT RECEVOIR UNIFORMÉMENT LE NÉCESSAIRE.
Vendredi 11 novembre, fête de saint Martin :
Au nom de l’égalité, nous aurions tendance à donner à tous la même chose, mais saint Benoît, reprenant un passage de l’Écriture (Ac. 4, 32 s.), remarque que les besoins de chacun sont différents, et qu’il faut donc en tenir compte. Mais alors, comment éviter ce mal du murmure qui peut détruire la communauté la plus unie et la plus solide ?
Saint Benoît propose une solution originale. Celui qui reçoit moins doit rendre grâce d’avoir moins besoin, et celui qui reçoit davantage doit considérer l’infirmité qui lui vaut ce traitement de faveur [..]
L’unique solution que propose saint Benoît, c’est l’action de grâce et l’humilité, qui sont en fait une seule et même chose. En effet, seule l’humilité peut rendre grâce, car elle sait que tout vient de Dieu, même la force et la santé. Et seule l’action de grâce peut conduire à l’humilité, car elle sait, non seulement se réjouir du don de Dieu, mais aussi compatir à la faiblesse d’autrui. Au lieu de focaliser l’attention sur le don, saint Benoît la tourne vers le donateur. Le moine est incité à introduire un tiers dans le jeu ; un tiers qui est Dieu lui-même.
En faisant cela, il remet les choses à leur juste place. Il y a Dieu, le donateur d’un côté, et, de l’autre, les hommes qui reçoivent, c’est-à-dire mon frère et moi. Nous sommes tous deux bénéficiaires, à divers degrés, des dons que Dieu nous fait, et nous n’y sommes pour rien.
XXXV. DES SEMAINIERS DE LA CUISINE.
Samedi 12 novembre :
Ainsi, pour saint Benoît, l’amour mutuel passe par le service mutuel, dans les toutes petites choses de la vie. C’est pourquoi Benoît insiste tant sur le service de la cuisine, un service si banal qu’il se répète trois fois par jour. Nous oublions souvent combien d’amour les frères des différents services mettent dans leur travail pour nous.
Aimer comme Jésus nous aime, servir nos frères comme Jésus nous a servis, jusqu’au bout, voilà la source qui donne à notre travail, à tous ces petits services qui nous sont demandés, leur véritable profondeur, leur extraordinaire signification. Pour que l’amour transforme le monde, pour susciter cette ‘’civilisation de l’amour’’ qu’à la suite de son initiateur saint Paul VI, saint Jean-Paul II appelait de ses vœux, il faut commencer par mettre un peu d’amour dans les toutes petites choses de notre vie !
