J Moltmann – Théologie de l’Espérance

Jürgen Moltmann naît en 1926 à Hambourg (Allemagne). Il grandit dans une famille peu religieuse bien que de culture protestante. À quatorze ans, l’adolescent est enjoint d’intégrer les jeunesses hitlériennes, comme tous les jeunes gens de son âge. Trois ans après, il sera enrôlé dans l’armée allemande, ce qui l’empêchera de terminer le lycée. De 1945 à 1948, prisonnier de guerre et déplacé de camp en camp. Là, il renoue avec la foi chrétienne – non sans passer par une phase de perte de confiance dans sa propre culture en découvrant les crimes nazis.

« Je n’ai pas trouvé le Christ, il m’a trouvé », se plaît-il à dire. Après la guerre, il étudie la théologie à l’université de Göttingen, avec un certain Karl Barth pour professeur. En 1952, il se marie avec la théologienne Elisabeth Wendel. Ils auront quatre filles. De 1953 à 1958, il est pasteur avant d’entamer une carrière de professeur. Sa Théologie de l’espérance paraît en 1964 et le fera connaître sur la scène théologique internationale. Elle inspirera la théologie de la libération

Dans la fin – le commencement. (…). Je voudrais traduire par ces mots la puissance de l’espérance chrétienne, car l’espérance chrétienne est la puissance de ressusciter d’entre les échecs et les défaites de la vie

« Dans la fin – le commencement. (…). Je voudrais traduire par ces mots la puissance de l’espérance chrétienne, car l’espérance chrétienne est la puissance de ressusciter d’entre les échecs et les défaites de la vie. Elle est la puissance qui, des ombres de la mort, fait renaître la vie. Elle est la puissance de commencer à nouveau, là où le péché avait rendu la vie impossible. Car elle est l’esprit de l’Esprit de la résurrection d’un homme trahi, maltraité et abandonné : le Christ. Parce que Dieu l’a réveillé d’entre les morts, la fin du Christ sur la croix du Golgotha, cette fin sans issue, est devenue pour lui le véritable commencement. »*

À seize ans, en 1943, j’ai été enrôlé dans l’armée allemande. Je venais d’un foyer non religieux. J’avais effectué mon catéchisme avec indifférence. Avec un bataillon de la défense antiaérienne, j’étais dans le centre-ville de Hambourg et j’ai survécu à la destruction de la ville en juillet 1943. 14 000 personnes ont péri sous le feu. C’est alors que j’ai crié pour la première fois vers Dieu : « Mon Dieu, où es-tu ? »
En 1945, j’ai été fait prisonnier et j’ai perdu toute espérance, jusqu’au jour où un aumônier m’a offert une bible. J’ai lu les psaumes de lamentation de l’Ancien Testament et le récit de la Passion de Jésus. Et j’ai su : « Voici un homme qui te comprend mieux que tous les autres.» Le Christ abandonné de Dieu a porté secours au « prisoner of war » abandonné de Dieu. Pendant ma captivité, j’ai commencé à étudier la théologie et à voir si cela menait quelque part.

Mon Credo personnel ? Je ramasse cela en une phrase : « Dans la fin – le commencement ». C’est ce que j’ai vécu. C’est ce que j’ai exposé dans ma théologie de l’espérance. Et c’est aussi l’expérience de Jésus-Christ : dans la fin, il y a le commencement – dans la croix, il y a la résurrection.

L’espérance chrétienne vient de la proclamation par Jésus du Royaume de Dieu qui s’approche. Il prêchait aux pauvres, aux malades et aux désespérés qu’ils ont une espérance. Espérer, c’est commencer. Il y a quelque chose d’enchanteur dans tout commencement, a dit Hermann Hesse dans un poème. Il y a dans un commencement quelque chose d’enchanteur qui nous attire hors de nous-mêmes.

Tout homme qui commence à vivre espère mener une vie qui réussit. Lorsque quelqu’un a trouvé le sens de sa vie, il est rempli d’espérance. Les hommes d’espérance voient le monde non pas seulement dans sa réalité, mais aussi dans ses possibles, et ils explorent ces possibles. Par la peur et la crainte, nous explorons les possibles d’ordre négatif, pour nous y préparer ; dans l’espérance et la joie anticipée, nous explorons les possibles qui sont positifs. Il n’y a pas d’existence sans peur et sans espérance. C’est là l’espérance commune. L’espérance chrétienne, c’est en fait l’espérance que Dieu place dans les hommes. Dieu n’est pas seulement notre espérance : nous sommes l’espérance de Dieu pour sa terre et pour sa Création. Je suis conscient d’exister quand quelqu’un espère en moi et attend quelque chose de moi. La vie du chrétien est une espérance pour d’autres hommes. Pour moi, la mort de Dietrich Bonhoeffer a été une espérance, parce que, quand on est venu le chercher pour l’exécuter, il a dit : « C’est la fin – pour moi, le commencement de la vie éternelle. » Et cela m’a convaincu.

Quand le monde sombre dans l’obscurité, dit le prophète Esaïe, Dieu crée un monde nouveau dans sa lumière. L’espérance n’est pas seulement la puissance de commencer : elle est aussi une puissance qui donne patience. On doit avoir de la patience non seulement envers d’autres hommes qui nous « tapent sur les nerfs », mais aussi envers soi-même. C’est difficile pour les jeunes ! C’est une affaire de confiance en Dieu et de confiance en soi. J’ai de la patience à l’égard de moi-même quand je vois clairement que Dieu a pris patience envers moi durant tant d’années et n’a pas désespéré de moi.

« Extrait de propos recueillis par Madeleine Wieger, maitre de conférences à la faculté théologique de Strasbourg ».

* « Théologie de l’espérance », Jürgen Moltmann, Cerf, 1970