Icone du Christ et de l’abbé Mena

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Catégorie : ArticlesVie monastique

LE MONASTERE DE BAOUIT

La vie des Pères du désert nous parle du monastère copte de Baouit en Moyenne-Egypte, implanté sur la rive gauche du Nil. Ce monastère, très important, eut une très grande influence dans l’Egypte copte du IVe au XIe siècle. En copte, Baouit signifie assemblée ou congrégation comme ecclesia en grec se traduit par Église.

Dans son histoire des moines égyptiens, Rufin d’Aquilée rapporte qu’il a connu personnellement apa (abba, Père) Apollo lorsque celui-ci a fondé son monastère vers 385-390 et en a écrit la règle. Les offices y étaient chantés en commun, et la messe et la communion étaient quotidiennes.

Les VIe et VIIe siècles ont été les grandes périodes de prospérité pour ce double monastère. En effet, une communauté de moniales, sous le patronage de sainte Rachel, s’était jointe à la communauté des moines qui furent jusqu’à cinq cents. Mais lors de la conquête arabe, où elles purent rester encore actives, la vie monastique déclina et fut abandonnée au cours du Xe siècle.

Puis tout fut recouvert par le sable…

« l’échange des regards se fait, non entre le Christ et Ména, mais entre eux deux et le spectateur comme s’il s’agissait d’inviter ce dernier à entrer dans leur amitié afin de connaître à son tour l’indicible réconfort symbolisé par le bras protecteur du Sauveur ». (F.Boesphlug)

Et c’est à partir de 1901 que l’archéologue français Jean Clédat commence les fouilles du kôm de Baouit qui couvre une surface de 40 ha. avec deux églises, une grande basilique centrale et tout un ensemble de bâtiments monastiques. Lui et ses successeurs en tireront une riche moisson d’éléments sculptés, de documents écrits et la fameuse icône du Christ avec le saint abbé Ména dont le nom est l’anagramme d’Amen. Ce serait alors une explication de sa foi et de sa canonisation.

PRESENTATION DE L’ICÔNE :

Cette icône n’est pas très grande : Elle est peinte sur une planche carrée de 57 sur 57 cm. et représente deux personnage en pied et en position frontale devant un paysage du désert. On peut discerner de la végétation à leurs pieds. Des collines ocre et vert foncé se détachent sur un ciel aux teintes de soleil couchant et tout l’ensemble est peint de couleurs chaudes. A droite, reconnaissable à sa physionomie et à son nimbe crucifère, le Christ tient un évangéliaire dont la couverture est richement ornée de perles et de gemmes. L’inscription « Sauveur » à sa gauche confirme son identité. Son bras droit est posé sur les épaules du second personnage dont l’inscription indique l’identité : « Apa Ména supérieur ». Celui-ci tient un rouleau qui pourrait être la règle du monastère dont il est l’abbé. Il a un geste de bénédiction de l’autre main. Son auréole indique qu’il a été reconnu comme saint, au moins localement, d’où la possibilité de le représenter en icône pour la dévotion personnelle ou bien liturgique si elle était placée dans l’église.

On ne sait pas où Jean Clédat a découvert cette icône ; ses carnets de fouilles ne précisant pas à quel endroit exact du site elle a été trouvée : dans une des églises ou dans une cellule de moine ? Si sa datation a pu varier entre le VIe et le VIIIe siècle, elle reste toutefois la plus ancienne icône copte au monde et se trouve au musée du Louvre à Paris.

C’est à dessein  qu’il y a disproportion de la tête des deux personnages par rapport à leur taille, elle-même assez tassée ! Le volume de leurs têtes (un peu plus grosse pour celle du Christ que pour celle de son compagnon) ne serait-il pas volontaire pour traduire la supériorité du spirituel sur le corporel ? Saint Paul nous le dit : « Le Christ est la tête du corps qui est l’Eglise (Col.1, 18) » ; Il est notre Tête. Car l’iconographe ne cherche pas à représenter la réalité des traits d’un saint, ni son corps psychique, mortel, mais son corps spirituel et déjà transfiguré. Il renonce aux proportions classiques pour utiliser un langage qui est propre à l’icône avec une absence de tout naturalisme, de psychologie ou de sensualité corporelle qui permet de tout centrer sur les visages qui rayonnent la paix de Dieu, mais surtout sur le regard, symbole de la vision intérieure tournée vers le Royaume.

LE REGARD :

Le dessin des yeux est également agrandi pour insister sur le regard qui peut aussi rappeler les fameux portraits de Fayoum. Il traduit la force de l’Esprit qui l’habite, l’immortalité, la vision eschatologique. Ces regards ne sont pas intrusifs car ils nous regardent sans aucun jugement. Au contraire, ils sont remplis de douceur, de bienveillance et de paix, la Paix que seul le Christ nous donne. Il y a une profonde communion dans cet échange de regards. En nous regardant, Jésus nous communique sa vie, la vie divine. Le regard est bien la révélation existentielle de chaque personne. Aussi, dans les églises rupestres de Cappadoce, les iconoclastes fanatiques ont surtout grattés, sur les fresques des murs, tous les yeux des personnages !

Par l’utilisation de simples aplats de couleurs sans ombres et en utilisant le principe de la perspective inversée, l’icône transcende le temps et l’espace et s’actualise alors dans notre aujourd’hui. Nous sommes ainsi engagés dans ce que nous regardons. L’icône ne cherche pas à être savante. Au contraire, dans le bon sens du mot, elle est populaire et sa théologie nous dit sa vérité dans la plus grande simplicité afin d’être accueillie par tous comme par un enfant. Elle peut d’ailleurs avoir cette apparence d’un dessin d’enfant avec ses personnages statiques, en vue toujours frontale qui vous regardent avec insistance! Elle nous incite donc à garder ou retrouver notre cœur d’enfant. « Si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux (Mt.18, 3) ».

Dans cette icône, François Boesphlug (ancien dominicain, professeur d’histoire des religions) observe que « l’échange des regards se fait, non entre le Christ et Ména, mais entre eux deux et le spectateur comme s’il s’agissait d’inviter ce dernier à entrer dans leur amitié afin de connaître à son tour l’indicible réconfort symbolisé par le bras protecteur du Sauveur ». Le Christ s’appuie sur son disciple pour le conduire sur le chemin de la bénédiction vers son Père et ses frères.
Et Frère Roger de Taizé a beaucoup aidé à faire connaître cette icône. Il aimait la présenter comme celle de l’Amitié du Christ pour chacun de nous. « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis (Jn.15, 15) ».

Parmi les peintures paléochrétiennes, les représentations coptes se distinguent par leur caractère très monastique. L’iconographe, qu’il soit moine ou laïc était d’abord un croyant qui utilisait le langage iconique pour exprimer la foi de l’Eglise transmise par l’Evangile et la liturgie. Pauvrement, mais dans la vérité, il ne cherchait pas l’esthétisme, mais une beauté toute spirituelle et humble dans sa vérité. Il utilisait seulement les matériaux qui étaient à sa portée: des planches de palmier ou d’autres arbres locaux, les terres naturelles qu’il récupérait pour ses couleurs, etc… Cette icône témoigne bien de l’idéal ascétique des moines d’Egypte et exprime la profonde simplicité qu’ils avaient dans leur relation avec Dieu comme en échos de toutes leurs paroles (apophtegmes) si heureusement conservées par leurs disciples.

Frère Jean-Marie et Frère Raphaël
Moines du Bec