Homélie
Bien chers frères et sœurs en Christ, aujourd’hui, nous fêtons la Croix Glorieuse et nous sommes invités à méditer sur le sens de la croix du Christ pour nous, elle qui est le signe de l’amour de Dieu pour le monde en général et pour chaque être humain en particulier.
Habituellement au début d’une prière ou de chaque célébration eucharistique, on se signe. Je vais vous dire ce qui paraîtra peut-être scandaleux à certains d’entre vous. Frères et sœurs, comme elle est belle la croix quand c’est Jésus qui la recouvre de sa présence comme celle qui est au-dessus de moi. C’est la Vie même qui est clouée au cœur de la mort et notre humanité peut enfin refleurir. Elle n’est plus orpheline, elle n’est plus seule dans le combat, car elle peut désormais appeler Dieu « notre Père ». Voilà la beauté et le mystère de l’Église, Corps du Christ, à jamais crucifié avec lui dans l’offrande de sa vie pour le monde.
L’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre, nous invite à regarder au-delà. Il nous annonce Jésus élevé sur la croix. Cette élévation n’est pas seulement physique. Ici, c’est de son exaltation et de sa glorification qu’il s’agit. Nous regardons la croix non pour y voir l’horreur subie par le condamné mais la glorification du Messie.
Pour nous aider à comprendre cela, nous avons entendu l’événement très connu de l’Ancien Testament dans la 1ère lecture. Au cours de leur traversée du désert, les Hébreux se sont plusieurs fois révoltés contre Dieu. Or voilà qu’ils se sont trouvés dans une région infestée par des serpents venimeux. Il y eut de nombreux morts. Alors le peuple pense que la colère de Dieu s’est abattue contre eux et qu’ils sont punis à cause de leur péché. Ils demandent alors à Moïse d’intervenir en leur faveur auprès de lui.
Moïse leur propose de la part de Dieu un geste symbolique : Faites-vous un serpent de bronze que vous mettrez au bout d’un étendard ; celui qui aura été mordu et le regardera avec foi sera sauvé. Entendons-nous bien : Ce n’est pas l’objet qui les sauvait mais Dieu vers qui ils se tournaient. Ils étaient invités à laisser de côté leur révolte et à renouveler leur confiance en Dieu sauveur et libérateur.
Cet évangile nous rejoint aujourd’hui. Nous sommes tous plus ou moins malades, mordus par le péché, tentés par le serpent de la Genèse qui détourne l’homme de Dieu. Mais nous pouvons être guéris et sauvés en nous tournant vers la croix du Christ. Bien sûr, ce n’est pas un geste magique mais une démarche de foi et de confiance envers le Christ Vainqueur. Désormais, rien ne peut nous séparer de son amour. Avec lui, il n’y a pas de situation sans issue.
Il arrive que, parfois, nous soyons désespérés ; nous n’avons plus la force ni l’envie de prier. C’est alors que nous pouvons nous arrêter bien simplement devant la croix du Christ et la regarder en silence. Et nous découvrons alors qu’elle nous rééduque spirituellement. Elle nous renvoie au courage du Christ mourant.
Mais cette contemplation nous révèle aussi notre médiocrité d’enfants gâtés qui réclament toujours plus à Dieu. Devant le crucifié, le cœur de l’homme apprend à dire oui là où le pécheur dit non. Notre Dieu n’est pas le comptable d’une facture que nous pourrions lui remettre. Il n’a aucun compte à nous rendre.
Simplement, il nous aime d’un amour passionné et il veut nous combler bien au-delà de ce que nous pourrions imaginer. Il attend de nous une réponse libre, accueillante et aimante. Il nous attire à lui par le rayonnement de son amour, mais il respecte notre liberté. La décision nous appartient et personne ne peut la prendre à notre place. En regardant cette croix, nous apprenons à imiter le Christ. Lui-même nous a aimés jusqu’au don total de sa vie. C’est sur ce chemin du don de soi que nous sommes invités à le suivre jusqu’au bout. C’est à cette condition que nous pourrons prendre part à son exaltation et à sa glorification.
Alors oui, prenons le temps d’accueillir cet amour fou de notre Dieu. Il n’a pas envoyé son Fils pour juger et condamner le monde mais pour le sauver. Jésus savait ce qu’il y avait dans le cœur de l’homme et lui seul pouvait juger. Mais on ne juge pas, on ne condamne pas ceux qu’on aime. Cette découverte nous renvoie à nous-mêmes : pourquoi nous acharner à vouloir condamner ce monde que nous disons pourri ? C’est vrai qu’il y a des pourris dans notre monde. Il y a aussi de la pourriture dans le raisin. Ça n’empêche pas de faire du bon vin. C’est ainsi que Dieu fait appel à ce qu’il y a de meilleur en nous.
Quand nous traversons un désert de souffrances, de peurs et de doutes, arrêtons-nous devant la croix du Christ. A travers elle, c’est Dieu qui nous fait signe et nous invite à la confiance.
Père Dieudonné
Prieur du Bec