Pour quelque temps encore, le monde est une immense laure, une vaste chartreuse dans laquelle chacun demeure cloîtré dans sa cellule ! A la différence d’Abraham, cette situation n’a pas été choisie, mais imposée par des circonstances dramatiques : c’est cela, ou la catastrophe ! Mais, comme Abraham, il nous a fallu, d’un coup, tout quitter, affaires, relations, vie associative et culturelle, pour aller vers un pays lointain, très lointain : nous-mêmes…
Nous le fuyons tous, ce pays, tant il nous apparaît menaçant, privé de tout confort, de tout agrément, de toute possibilité de paraître et de réussir. Et nous voilà exilés, migrants, comme ceux qui frappent à nos frontières actuellement.
Jusque là, pour beaucoup, nous étions accaparés à bien asseoir notre position sociale, à faire des réserves pour l’avenir, à l’affût, sans arrêt, des opportunités d’avancement ou de gain. Le progrès, pour nous, était au bout de cette course au trésor.
A voir ! Un simple virus est venu tout renverser, comme une boule dans un jeu de quilles… Fini le théâtre, finies les compétitions sportives, finies les sorties en famille, fini le café, fini le bureau ! Et, avec cela, les bourses s’effondrent, la production industrielle est stoppée, les hôpitaux débordent et sont asphyxiés. Jusqu’où ce tsunami
« La fin de toutes choses est proche, écrit saint Pierre, montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier ». Nous y sommes ! Et l’Apôtre de nous inviter à retrouver l’essentiel, l’hospitalité, le service mutuel, l’attention aux autres, « afin que, par Jésus Christ, Dieu soit totalement glorifié. »
Nous, moines, dans tout cela ? « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde », nous rappelle Jésus. Car, de par notre vocation, nous avons déjà tout quitté, nous avons choisi, en réponse à l’appel de Dieu, d’aller vers nous-mêmes pour Le rencontrer, Lui notre Créateur et Père. Non pas que nous ayons une longueur d’avance sur les autres, mais que nous sommes premiers de cordée, l’actualité nous rappelant à nous aussi qui nous sommes, des pécheurs pardonnés, quels nous devons être, le sel qui révèle au monde le sens et le prix de la vie, la lumière qui lui désigne Dieu : « Que votre lumière brille aux eaux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Mais entendons-nous bien sur notre mission : c’est dans notre configuration totale au Christ mort et ressuscité, notre confinement absolu dans sa Parole, que nous serons sel de la terre, lumière du monde, pas dans une exemplarité de façade et de beaux discours, pas dans des œuvres extraordinaires ou des innovations géniales. Nous sommes, par vocation, confinés dans le Christ : là est notre mission pour le monde !
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec