Les anges ne vieillissent pas

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Il n’est pas facile de parler des anges, aujourd’hui, dans notre culture de la démonstration, du vérifiable. Quoi qu’on puisse dire d’eux, on reste toujours dans l’ordre du symbole, on s’appuie sur la Tradition de l’Eglise, on touche au mystère de la relation du ciel, inaccessible, à la glaise dans laquelle on est embourbé. On est donc obligé d’évoluer sur un fil, pour ne tomber, à droite, dans l’angélolâtrie, à gauche, dans la dérision.Écoutons bien le Credo de Paul VI : Nous croyons en un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, créateur des choses visibles, comme ce monde où s’écoule notre vie passagère, des choses invisibles, comme les purs esprits qu’on nomme aussi les anges, et créateur, en chaque homme, de son âme spirituelle et immortelle.

Dès le début de sa profession de foi, Paul VI inclut donc les anges. La théologie n’en dit pas beaucoup plus, sauf que (et leur nom l’indique) on reconnaît leur présence à leur intervention dans nos vies et que, surtout, Jésus les évoque à plusieurs reprises, comme dans l’évangile de ce jour, relatant sa rencontre avec Nathanaël.

Sainte Françoise Romaine, avec son ange, est-elle restée prisonnière d’une croyance populaire d’un autre âge ? Et, plus proche de nous, Mère Yvonne Aimée de Jésus, pourtant si pragmatique, tributaire d’une dévotion séculaire surannée ? Bien d’autres personnes, pas des plus attardées, ont été protégées, se sont laissées informer et conduire par eux. Ceux qui balaient d’un revers de manche les anges, estimant qu’ils sont le fruit de l’imaginaire des hommes écrasés par la transcendance menaçante des dieux, ou, au contraire, avides de maîtriser les forces divines, grâce à leur puissance spirituelle, ont de la chance d’être si sûrs d’eux.

S’il est vrai que, pour un Chrétien, la venue au monde du Christ, sa Parole, sa Mort et sa Résurrection rendent, sinon inutiles, du moins secondes l’existence et la fonction des anges, leur mission demeure cependant, sans qu’il soit possible de faire de grands développements à leur sujets (l’angélologie). Ne seraient-ils pas tout simplement des êtres spirituels créés par Dieu, pour nous rappeler que, transcendant et inaccessible, Il veut entrer en dialogue avec nous ; que ce dialogue est le don gratuit de Sa Vie, qui dépasse nos capacités et notre condition humaines, la mort surtout, pour nous introduire dans Son Royaume ? Comme le chante l’Apocalypse de Saint Jean, les anges désignent mystérieusement ce pays où il n’y aura plus de nuit, ni de malédiction. Tout y sera lumière (cf. Ap 22, in Théo, col. 694a), a pesanteur, comme l’évoque leurs ailes, musique, comme leur chant aux bergers dans la nuit de Noël.

Ceci dit, à quoi bon parler des anges, si ce discours ne nous concerne pas ? Dieu les a créés pour Lui et pour nous… Il y a 70 ans que les fils du Père Emmanuel sont arrivés au Bec, avec Père Abbé Paul : que de souffrances, de déceptions, d’échecs, de drames, de morts ! Que de joies, de semailles, de moissons, de victoires, de grâces ! Si cette entreprise n’avait été que celles d’hommes aspirant à vivre un idéal de perfection, elle n’aurait pas survécue aux bourrasques qui l’ont ébranlée et fragilisée, bien des fois ; s’il ne s’était agi que de relever une antique tradition de culture, il y a longtemps que nous aurions déclaré forfait ; si le mobile de notre présence n’était que de perpétuer une longue histoire de prière, nous pourrions la poursuivre ailleurs, dans des conditions et un environnement plus conformes à ce que nous sommes.

Je crois que Père Abbé Paul et Mère Elisabeth ont entendu l’ange du Seigneur les appeler au Bec et répondre à leur questionnement : Rien n’est impossible à Dieu ! Je crois que ce même ange les a accompagnés, soutenus, précédés, tout au long de leur marche. Je crois qu’il est toujours là avec nous, parce les anges ne vieillissent pas. Je crois que chacun de nous a aussi le sien particulier, et que ce petit bataillon d’anges lutte avec nous contre la désespérance et l’inquiétude qui nous menacent, signe de la présence, en face, de la troupe du Malin. Cet fête, cet anniversaire nous invitent donc à l’Espérance (qui) ne trompe pas ; elle nous assure que Dieu est avec nous et que la victoire nous est donnée dans le Christ ressuscité : Sa Victoire !

 

Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec