Homélie :
Chaque année, nous commençons notre pèlerinage de Carême avec les tentations de Jésus dans le désert. Ces tentations eurent lieu alors qu’Il entamait sa retraite de quarante jours en préparation pour Son ministère public, juste après Son baptême par Jean dans le Jourdain.
Il me semble que nous pouvons recevoir cet épisode évangélique comme une parole d’encouragement et d’espoir. Car la leçon que nous pouvons en tirer, c’est qu’à travers l’expérience de l’épreuve et de la tentation, Jésus a été fortifié pour accomplir Sa mission.
De même, pour nous, l’épreuve et la tentation peuvent être bénéfiques. Rappelons-nous la parole d’un Père du Désert qui affirme : « Quiconque n’a pas subi de tentation ne peut entrer dans le Royaume des Cieux. En effet supprime les tentations, et personne n’est sauvé. »
Il y a un consensus parmi les grands auteurs spirituels pour dire que la tentation et l’épreuve, la conscience de notre faiblesse, et même l’expérience de l’échec et de la chute, sont quasi-indispensables pour notre croissance spirituelle.
Je suppose que la grande consolation et l’espoir qui nous sont donnés lorsque nous faisons face à la tentation et aux épreuves sont que nous ne sommes pas seuls… nous avons été précédés par le Christ et Il reste avec nous.
Comme l’auteur de l’épître aux Hébreux nous le dit : « Parce que le Christ a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve. (…) En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. » (2, 18 ; 4, 15)
Jésus a-t-Il vraiment été tenté comme nous le sommes ?
Quand nous réfléchissons à la nature de certaines tentations, celles qui sont les plus grossières et insidieuses, il peut nous sembler presque blasphématoire de penser que Jésus les a ressenties. Et pourtant, si nous refusons de les considérer comme faisant partie des tentations du Christ, nous perdons immédiatement une aide précieuse dans notre pèlerinage terrestre. Car le Christ n’a pas seulement été tenté en toutes choses – Il a triomphé de toutes choses, nous montrant ainsi qu’il est possible, avec Dieu, de traverser toutes les tentations.
Comprenez-moi bien, je ne dis pas que les tentations particulières de Jésus et les nôtres sont identiques. Cependant, même si les circonstances particulières de la vie de Jésus sont historiquement, culturellement et socialement très différentes des nôtres, nous ne devrions pas en conclure que l’expérience de Jésus est sans rapport avec la nôtre.
Bien entendu, Jésus n’a pas été tenté de surfer sur l’internet ou de conduire une voiture de manière irresponsable et dangereuse pour lui et pour les autres. Il ne vivait pas dans une société de consommation effrénée. Le récit des tentations nous montre toutefois qu’il savait ce qu’étaient les abus de pouvoir, le rapport désordonné à l’argent et la concupiscence du manger.
Ainsi, fondamentalement, nous sommes engagés dans la même lutte que Jésus.
Si la tentation nous vient sous une myriade d’apparences, toujours subtilement adaptée à notre personnalité et à notre condition particulière, elle a toujours un seul objectif : nous détourner de la vérité, à propos de Dieu, de nous-mêmes, et du monde qui nous entoure. La tentation cherche à nous éloigner de Dieu, de notre moi authentique et des autres, elle nous incite à entrer dans le monde de la fausseté et du déguisement.
Lorsque nous examinons les tentations de Jésus dans le désert, essentiellement, celles-ci l’appelaient à nier, rejeter et contourner Sa condition humaine.
De même, toutes nos tentations cherchent à détruire notre identité en tant qu’enfants de Dieu appelés à vivre notre humanité comme le chemin vers notre divinisation.
Oui, le Tentateur, depuis Éden, essaie sans cesse de nous tromper… essaie sans cesse de nous faire prendre la place de Dieu, mais en fait lorsque nous consentons à ses ruses, ce à quoi il aboutit, c’est de nous déshumaniser.
La tactique de Satan est de nous persuader d’atteindre de bonnes choses par de mauvais moyens.
Permettez-moi de m’expliquer. En un sens, ce que le diable suggérait à Jésus pour se prouver, voire améliorer Son ministère, semblait bon.
Les suggestions de Satan auraient pu être envisagées comme légitimes moyens afin de permettre à Jésus de prouver à ceux à qui Il était envoyé qu’Il était réellement le Fils de Dieu.
C’était toute la mission de Jésus : témoigner qu’avec lui, qu’en lui, Dieu était présent au milieu de son Peuple.
Et c’est effectivement ce que Jésus fit, mais non à la manière du Tentateur. Il le fit en étant pleinement humain.
Et la conséquence de ce choix divin est qu’à notre tour, c’est lorsque nous vivons pleinement et vraiment notre humanité que nous sommes élevés avec le Christ, divinisés, diraient nos frères et sœurs orthodoxes. Ainsi nous devenons Dieu, non en volant le fruit de l’arbre comme dans le livre de la Genèse, non en cédant aux tentations qui germent en nos cœurs ou qui croisent notre route mais en embrassant notre humanité.
Que ce Carême nous voit croître en humanité ! Que cheminant dans la joie de l’Esprit, avec Jésus comme notre guide nous puissions, comme les Écritures nous y invitent, « rendre gloire à Dieu dans notre corps » (1Co 6, 20) et « vivre dans l’amour et les œuvres bonnes » (Heb 10, 24).
Amen.
Père Abbé Mark Ephrem
Abbé Commissaire du Bec