Homélie :
« Malheur aux pasteurs qui perdent et dispersent les brebis de mon pâturage ».
C’est par cette apostrophe vigoureuse que débutent aujourd’hui les textes de la Parole de Dieu. Nous pourrions nous sentir rassurés en nous disant que cette interpellation ne s’adresse pas à nous, du moins pas directement. Et pourtant cette Parole de Dieu est à méditer.
Le Prophète Jérémie constate la situation déplorable du peuple d’Israël. Il accuse ses chefs d’en être responsables. Ces chefs, ce sont les rois et tous les grands. Ils font sentir au peuple leur pouvoir, mais au lieu de le rassembler, l’accablent sous la terreur et l’oppression. Pire encore, ils le détournent, par leur exemple, de la fidélité au vrai Dieu pour la servir au culte des idoles. Comme le dit encore Jérémie : « ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne retiennent pas l’eau » (Jer 2, 13). Or le désir du Seigneur et justement de « les mener vers les eaux du repos pour les faire revivre comme le chante le Psaume 22.
La triste conséquence de cet abandon par les mauvais bergers est la dispersion et l’exil du troupeau. C’est pourquoi Dieu va lui-même rassembler ses brebis et les ramener dans leur pâturage pour qu’elle soit fécondes et se multiplient. Il leur donnera de nouveaux pasteurs qui partageront sa mission et prendront soin du troupeau, sans chercher leur propre intérêt. Ils lui rendront la paix et la confiance.
Mais, plus encore, Dieu lui promet un pasteur selon son cœur, issu de la race de David, qui exercera le droit et la justice. Son nom sera : »le Seigneur est notre justice », ce qui montre l’étroites intimité entre Dieu et lui. Il apportera au peuple la paix et la sécurité. Tel est le pasteur idéal, annoncer par Jérémie, comme par bien d’autres prophètes – particulièrement Ézéchiel – et plusieurs psaumes.
À travers ces textes se dessine déjà la figure de Jésus. Bien que l’évangile de Marc que nous venons d’entendre y fasse seulement une discrète allusion, c’est bien comme pasteur qu’il est évoqué. À la vue des foules qui se pressent autour de lui, Jésus est saisi d’une profonde compassion, il est bouleversé dans tout son être car elles sont « comme des brebis sans berger ». Elles sont comme le peuple désemparé décrit par le Prophète. Il vient pour les sauver car elles sont démunies et affamées, de nourriture corporelle certes – et bientôt, Il multipliera les pains – mais plus encore d’espérance et de raison de vivre. C’est pourquoi Il va les enseigner longuement et leur annoncera le Royaume de Dieu.
La réaction de Jésus serait sans doute aussi forte devant la faim et les attentes de tant de nos contemporains. Tant de misères nous entourent, misères matérielles, morales, spirituelles, visibles ou cachées sous des apparences trompeuses. Beaucoup cherchent le bonheur sans trouver le moyen d’y parvenir ou n’obtiennent que des satisfactions illusoires. Et parfois nous sommes-nous pas nous-mêmes abattus, fatigués, désabusés ?
Jésus est le Messie, le nouveau David, qui apporte le droit et la justice. Oubliant sa propre fatigue, il se donne totalement au foules pauvres et affamées. Après leur avoir dispensé la parole, Il leur donne du pain en abondance comme signe du don de lui-même. De même que Dieu avait rassasié son peuple au désert par le don de la manne, Jésus nourrit la foule qui l’entoure, comme Il continue de prendre soin de son peuple aujourd’hui. Il lui révèle l’amour de Dieu par ses paroles, les actes et sa vie offerte.
Cette sollicitude pour la foule, Jésus la manifeste déjà envers ses disciples, en les invitant à se reposer et à refaire leurs forces, à leur retour de mission. Dans l’écoute de sa Parole et l’intimité de sa présence, ils puisent à la source de l’amour, cet amour qu’ils iront ensuite communiquer à ceux vers qui ils seront envoyés.
En se donnant totalement à sa mission, Jésus accomplit la volonté de son Père : Aimer tous ceux à qui il annonce la Bonne Nouvelle. S’il apparaît comme un nouveau David, à la fois Messie et Pasteur du troupeau, on peut aussi le considérer comme un nouveau Moïse, chef du peuple, bien que ces caractéristiques puissent convenir à l’un comme à l’autre. Jésus est Chef et Pasteur du peuple de Dieu.
En effet, de cette foule désemparée et dispersée, il fait un peuple uni. Il est venu pour les brebis perdues de la maison d’Israël mais aussi pour les païens. C’est ce qu’affirme l’apôtre Paul dans l’épître aux Éphésiens. L’unité de ce peuple nouveau, Jésus la réalise par l’offrande de sa vie. Par sa mort sur la croix, il rassemble les enfants de Dieu dispersés, il réunit en un seul corps Israël et les païens que le mur de la haine avait séparés. Le mystère pascal est le mystère de l’amour offert qui abolit les divisions. Jésus apporte la réconciliation et la paix, lui, le vrai berger qui donne sa vie pour ses brebis afin de les rassembler dans l’unité.
Jésus nous engage à prendre part à sa mission. Si l’interpellation de Jérémie au début de son oracle ne nous concerne pas directement, elle nous invite cependant, chacun à notre place, à raviver notre souci du peuple de Dieu, à participer à la sollicitude du pasteur pour son troupeau.
Pour cela, Il nous appelle, avec les apôtres, à aller à l’écart pour refaire nos forces dans le silence et l’écoute de sa Parole. Il vient parler à notre cœur. Il nous donne le Pain de Vie. Il comble nos attentes de paix et de bonheur et nous fortifie par son amour.
Ainsi recréés par sa Parole et par son Pain – c’est le don qu’il nous fait en cette Eucharistie – nous pourrons le suivre et prendre notre part de sa mission, en témoignant de la paix et de la réconciliation. Sa grâce nous aidera à renverser les murs de haine et les barrières qui divisent les hommes, en commençant par d’humbles gestes de la vie quotidienne avec nos proches. Nous contribuerons à la construction de l’Église, étant nous-même des pierres vivantes de cet édifice spirituel. Que l’Esprit Saint nous fortifie et nous rassemble par le lien de la charité.
Frère Claude
Moine du Bec