Homélie :
Le récit de l’insuccès de Jésus auprès de ses concitoyens à Nazareth apparaît, dans le cadre littéraire de Marc, comme une conclusion. L’activité de Jésus en Galilée finit ici. Et cette fin est un échec : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu ! » (Jean 1,11). L’homme n’est plus en état d’entendre la parole de son Dieu, auquel il appartient pourtant, même pas lorsque, comme ici à Nazareth, toutes les conditions préliminaires naturelles semblent être remplies.
On peut penser que Jésus ressentait si vivement sa solidarité avec les gens au milieu desquels il avait grandi, qu’il croyait leur devoir la prédication explicite de son message. Certainement, il espérait être entendu, compris, il n’en n’est rien, c’est tout le contraire qui se produit. Il a dû en éprouver une grande peine, une grande tristesse aussi. En 30 années, il y a tant de souvenirs communs, de peine et de joie partagée, de complicité, de services rendus, tous ces visages qu’il connaissait si bien et qu’il aimait se durcissent en l’écoutant. Quelle déception, quelle solitude aussi, d’autant qu’il est là au nom de son père. Je pense à ces paroles du psaume 11 « les paroles du Seigneur sont des paroles pures, argent passé au feu, affiné sept fois ». Ou alors en Saint-Jean : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jean 7,44) et Jean-Baptiste de proclamer « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jean 1,26) et vous ignorez celui que pourtant vous attendez.
C’est le paradoxe. Oui, « Malheur à l’homme qui met son espérance dans l’homme » dit encore un autre psaume. Jésus lui-même n’avait aucune illusion sur l’homme, Il savait ce qu’il y a dans l’homme. Dans la scène de Nazareth, Il est plutôt surpris, Il s’attendait à un autre accueil, là, Il ne savais pas, Il ne comprenait pas.
Nous devons réfléchir très sérieusement sur ce cours passage très dense. Réfléchir sur notre comportement avec nos semblables et plus encore avec ceux qui ne nous ressemblent pas, que la plupart du temps nous ignorons, n’imaginant pas un instant qu’ils puissent nous apporter une lumière. Comportement limite, borné et qui peut-être le nôtre, nous devons le reconnaître.
Je pense à certains théologiens ou autres écrivains dits spirituels. Ils sont comme les présentateurs de nouvelles. A les en croire, Dieu parle avant tout dans l’inhabituel et l’extraordinaire. La scène de Nazareth nous enseigne exactement le contraire : Dieu se trouve non pas dans l’inhabituel mais dans ce qu’il y a de plus ordinaire. Ce qui surprend vraiment les gens dans cette scène, c’est que Jésus soit comme tout le monde.
Jésus s’est souvent mis en colère contre les pharisiens, ceux qui étaient persuadés de posséder le savoir. Il était impossible de leur apprendre autre chose que ce qu’ils savaient. Il a été très dur vis-à-vis de ces religieux, les traitant de menteurs, de sépulcres blanchis, de voleurs…la liste est longue.
Bernanos parle à plusieurs reprises de l’homme imbécile. L’homme imbécile à ses yeux, c’est celui dont l’intelligence s’est arrêtée par ce qu’il sait, celui dont le désir est arrêté par ce dont il jouit, dont le regard est arrêté par ce qu’il voit, ce regard trop plein qui « manque de manque », incapable d’espérer pour voir, incapable souvent d’aimer. Nos journaux sont noircis de ces portraits un but de même, suffisants – c’est cela l’idole : Arrêter mon regard à ce que je vois.
Il est dit dans l’Évangile de ce jour que Jésus s’étonnait du manque de foi des Nazaréens. Saint-Jean ne dit-il pas : »Comment pouvez-vous croire, vous qui vous glorifiez les uns les autres et qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu ? » le diagnostic posé par Jésus du refus de croire en Lui et d’ordre spirituel. L’opposition au Christ trouve habituellement sa source dans une complaisance personnelle ou sociale en nous-mêmes, dans la peur que Dieu devienne trop envahissant dans nos vies et vienne nous déloger de nos habitudes si chères ou de notre façon de penser. Nous tenons à ce personnage que nous nous sommes faits et qui prend la place de notre être profond. C’est si facile de jouer un personnage, de paraître aux yeux des autres ce que nous ne sommes pas en vérité. C’est l’art du mensonge à soi-même et à ceux que nous côtoyons.
Quand Jésus nous dit « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur », c’est très étonnant. Il ne dit pas : Apprenez de moi comment faire des miracles extraordinaires, non, il dit « Apprenez que je suis ». Il s’agit d’une transformation au niveau de l’être, d’une conversion, une autre façon de penser d’agir et de voir.
C’est alors » être habité », habité de plus en plus par cette Présence qui nous conduit vers cette inconnaissable, vers Celui qu’on ne peut nommer.
Notre Eglise, dans la tempête qu’elle traverse, doit être sobre et pauvre, garder le seul nécessaire, elle doit toujours s’efforcer d’avoir le mot juste, de dire des choses vraies. Elle n’est propriétaire de rien, nous sommes les gérants des biens que Dieu nous donne dans une situation toujours provisoire, dans l’attente de la Jérusalem céleste. Rappelons-nous toujours que Jésus est venu sauver les brebis perdues que nous sommes toutes et tous, plus ou moins, non les justes qui ont bonne conscience et qui jugent les autres. Rappelons-nous aussi toujours qu’on ne peut s’éveiller à l’amour de Dieu, de nos pauvres savoirs et vouloirs.
Nous sommes appelés par le Christ, comme serviteurs inutiles, car tout ce que nous avons reçu de Dieu, nous avons reçu gratuitement. À nous revient de répondre par le don gratuit de notre vie.
Frère Michel
Moine du Bec