Évangile : « Vous verrez les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme »
En ce temps-là, lorsque Jésus vit Nathanaël venir à lui, il déclara à son sujet : « Voici vraiment un Israélite : il n’y a pas de ruse en lui. » Nathanaël lui demande : « D’où me connais-tu ? » Jésus lui répond : « Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu. »
Nathanaël lui dit : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël !
Jésus reprend : « Je te dis que je t’ai vu sous le figuier, et c’est pour cela que tu crois ! Tu verras des choses plus grandes encore. » Et il ajoute : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. »Homélie :
Dans le passage de l’Évangile que nous venons de lire, nous trouvons une image qui est centrale dans l’enseignement de Saint Benoît : l’image de l’échelle joignant le ciel à la terre, sur laquelle les anges de Dieu montent et descendent. Cette image nous vient de l’histoire du patriarche Jacob. Cette histoire se clôt sur les mots de Jacob que nous pouvons faire nôtre alors que nous sommes rassemblés aujourd’hui pour célébrer les 75 ans de la reprise de la vie monastique à l’abbaye du Bec : « En vérité, le Seigneur est en ce lieu ! C’est vraiment la maison de Dieu, la porte du ciel ! » (Gn 28, 16-17)
Nous ne pouvons pas rester indifférents à cet endroit et à l’appel lancé par Dieu et auquel ont généreusement répondu des générations de moines depuis 1034 et de moniales depuis 1948. Ce témoignage de la vie bénédictine, ces vies consacrées au Seigneur ont fait de ce lieu la Maison de Dieu.
Des questions doivent jaillir dans nos esprits aujourd’hui : que faudrait-il faire pour perpétuer le témoignage de la vie monastique en ce lieu ?
Comment notre famille monastique peut-elle répondre à l’appel qui nous est adressé d’assurer une présence ici au Bec ?
Ces questions naissent d’un contexte ecclésial et social bien complexe. Au niveau de notre Congrégation bénédictine, nous devons aussi tenir compte de la diminution des effectifs et des fragilités de nos communautés francophones.
Évidemment, je n’ai pas de réponses toutes faites à ces questions, mais elles m’amènent à vous partager une réflexion de Dom Grammont, qui a joué un rôle essentiel dans la restauration de la vie monastique ici il y a 75 ans. Dans son petit commentaire sur la Règle, Présence à Dieu, Présence aux Hommes, il écrit : « C’est bien dans l’humilité que Dieu se fait proche et que l’homme le rencontre. »
Ces mots nous indiquent la seule voie qui s’ouvre à nous en ce moment, et qui est la voie que nous devrions toujours suivre : la voie de l’humilité.
En fait, pour nous moines bénédictins, nous retrouver dans une posture d’humilité (et parfois même d’humiliation) n’est peut-être pas si mal que ça. Bien sûr, tout dépend de la manière dont cette position d’humilité est accueillie et embrassée. Nous ne devrions jamais oublier comment Herluin a quitté la cour de Brionne. Il n’est pas parti à cheval, mais sur le dos d’un âne, choisissant ainsi de suivre l’exemple de son Maître, Jésus, qui entra ainsi dans la Sainte Cité de Jérusalem.
Notre pauvreté, notre faiblesse et notre fragilité peuvent être les instruments dont Dieu a besoin pour révéler que ce que nous sommes appelés à entreprendre n’est pas notre œuvre, mais la sienne.
Ce qui nous est demandé n’est pas de réaliser une grande œuvre pour Dieu, mais de nous engager humblement dans l’œuvre que Dieu veut réaliser en nous et à travers nous. Le Seigneur fait de grandes choses avec de petits moyens ! Entre les mains de Dieu, notre pauvreté peut devenir richesse et notre faiblesse peut devenir force !
Dans les conversations que nous avons eues ces derniers mois, nous avons souvent souligné l’importance de nous situer dans une posture d’humilité les uns vis-à-vis des autres : être assez humbles pour être sincères avec nous-mêmes et avec les autres. L’humilité est vérité. L’humilité, c’est toute la vérité sur nos faiblesses, nos échecs, notre histoire, nos vertus et nos dons. Une fois que nous sommes vrais avec nous-mêmes et devant Dieu, alors nous pouvons traiter avec douceur ceux qui ont peur de faire face à leur propre vérité ou ceux qui se considèrent comme nos concurrents.
Esther de Waal parle de la nécessité pour nous d’accepter que nous sommes ordinaires, faibles, fragiles, totalement humains et totalement dépendants de Dieu… dépouillés de tout désir d’être d’une manière ou d’une autre à part, différents, supérieurs.
Nous devrions être capables de voir notre pauvreté et celle des autres comme une occasion qui nous est offerte d’être plus ouverts pour collaborer les uns avec les autres ; plus disponibles pour vivre la solidarité ; plus disposés à faire preuve de compassion les uns envers les autres. Ici aussi, l’humilité entre en jeu : l’humilité de celui qui a besoin d’aide, l’humilité d’accepter d’être aidé et l’humilité de celui qui donne ce qu’il peut donner. Dans sa Règle, St Benoît nous demande d’avoir un amour humble et sincère. Un tel amour, humble et libre, nous rendra généreux et inventifs. Quand on n’a pas les moyens, on a tendance à devenir plus inventif pour rendre ce qui semble impossible possible !
Ce n’est que par une humble bienveillance que nous ferons naître une réelle compassion, une authentique communion et un véritable sens de la responsabilité les uns envers les autres. Ce n’est que lorsque nous aurons adopté la posture de l’amour humble du Christ que nous serons prêts à nous tendre la main et à nous laisser atteindre par ceux qui nous tendent la main.
L’Échelle de Jacob, si chère à St Benoît, joue aussi un rôle important dans la vie de notre Père St Bernard Tolomei. Au fond de notre église de l’abbaye de la Sainte-Croix en Irlande, nous avons une icône qui représente St Benoît et St Bernard Tolomei soutenant les bâtiments de l’abbaye. Dans cette icône, nous voyons la vision de l’échelle de St Benoît : des moines vêtus de blanc (moines de notre Congrégation) sont représentés en train de monter l’échelle de l’humilité. Les moines s’entraident pour faire cette ascension : chacun aidant son frère sur le chemin qui mène à Dieu.
Cette scène évoque un aspect important de notre vie : le soutien mutuel, l’entraide… et cela non seulement au sein de nos communautés respectives, mais aussi entre elles, conformément à la volonté de St Bernard Tolomei pour notre Congrégation. Depuis ses débuts, notre famille monastique a mis un grand accent sur la grâce de la communion non seulement au sein de nos communautés, mais aussi entre elles. Nous sommes appelés à former un seul corps. Nous avons besoin les uns des autres. Il serait insensé de penser que nous pouvons nous en sortir tout seul ! Bien souvent, lorsque les choses ont mal tourné au sein de nos communautés, c’est précisément parce que nous avons agi de manière isolée.
St Antoine le Grand nous rappelle : « De notre prochain vient la vie ou la mort ».
Si nous voulons parvenir à une expérience de vie nouvelle au sein de notre famille monastique, nous devons devenir de plus en plus conscients de notre interdépendance, qui nous appelle à vivre dans la solidarité, et qui implique l’abandon de nos façons isolées de penser et d’agir.
Envisager, comme le font nos frères et sœurs orthodoxes, la vie monastique comme une vie angélique, ce n’est évidemment pas pour faire de nous des êtres désincarnés. C’est plutôt un rappel que nous sommes supposés vivre des vies totalement engagées au service du Seigneur, dans la célébration de la liturgie d’une manière privilégiée, bien sûr, mais il s’agit aussi pour nous d’être des messagers de Dieu, des serviteurs de tous ceux avec qui nous vivons et ceux que nous croisons sur le chemin de la vie.
Les missions et les messages des archanges Gabriel, Michel et Raphaël que nous lisons dans la Bible peuvent se résumer pour nous aujourd’hui aux paroles de Gabriel à Marie : « le Seigneur est avec toi. » (Lc 1, 28) Oui, Dieu est avec nos communautés et avec chacun de nous. Il se révèle dans chacune de nos rencontres.
Au fil des siècles, nos monastères ont été considérés comme des espaces d’où rayonnait la lumière de Dieu, des espaces lumineux, témoignant de la présence de Dieu en ce monde.
Cette vision de la vie monastique est une remise en question pour nous. Ne sommes-nous pas appelés à être remplis de la lumière du Christ – personnellement et communautairement – afin d’être fidèles à notre vocation et de répondre humblement à l’attente de nos contemporains ?
Que cette célébration soit pour nous l’occasion d’être renouvelés dans notre vocation monastique. Puissions-nous être fidèlement présent à Dieu et, ainsi, être sacrements de sa présence auprès de tous nos frères et sœurs dans l’Église et dans la société.
Père Abbé Mark Ephrem
Abbé commissaire de l’abbaye Notre Dame du Bec