XLII. QUE PERSONNE NE PARLE APRÈS COMPLIES.
Dimanche 20 novembre :
Quand on évoque le silence, on pense souvent au silence des mots, au fait de se taire. Et, si on s’arrête à cette conception négative du silence, on risque très vite de le ressentir comme un fardeau pesant, une barrière qui empêche la communication, et donc la communion. C’est pourquoi il est nécessaire d’aller plus loin, plus profondément, pour découvrir que le silence lui-même nous parle.
Car le silence est un autre niveau de langage, mais qui touche notre être à des niveaux bien plus profonds. La parole risque souvent que n’être que le brouillage de cet autre langage. En effet, les gens les plus bavards sont aussi ceux qui parlent le plus souvent pour ne rien dire d’intéressant. Écouter le langage du silence suppose donc une qualité d’attention qui dépasse le simple fait d’écouter, car alors tout nous parle.
Ainsi existe-t-il un bruit des mouvements, des gestes, même sans bruit, comme il existe un vacarme des couleurs et des formes. L’architecture cistercienne, qui fascine tant nos contemporains, est un exemple frappant de ce silence des formes. C’est une architecture du silence, par la pureté des lignes, la simplicité des formes ; elle semble nous ramener, presque à notre insu, au silence qui nous habite, où Dieu habite en nous [..]
Il y a des êtres qui, par leur seule présence silencieuse, rayonnent la paix, la joie. Sommes-nous de ceux-là ?XLIII. DE CEUX QUI ARRIVENT EN RETARD À L’ŒUVRE DE DIEU OU À TABLE.
Lundi 21 novembre :
Dans la vie monastique, chaque chose doit trouver sa juste place, les objets comme notre emploi du temps, avec une priorité absolue : la place de Dieu dans notre vie. Ainsi en est-il de celle du service de Dieu et celui qui ne souscrirait pas à ce que dit saint Benoît : « Que rien ne soit préféré à l’œuvre de Dieu », n’aurait pas sa place dans une communauté monastique. Ce verset est la clé de voûte de toute notre vie. Mais nous pouvons constater cependant, que notre manière de vivre l’office évolue avec le temps.
Au début, saisis par le chant, le déroulement liturgique, nous avons pu percevoir quelque chose de grand, de mystérieux nous dépassant. Puis, le temps passant, le mystère entrevu s’estompe, et la négligence, l’assoupissement peut venir avec les retards ou même les absences répétées ; il y a tant de choses qui semblent plus importantes !
Mais saint Benoît sait bien que si le moine dure dans les difficultés, s’il persévère lorsque l’office divin lui devient un pensum, s’il « ne préfère rien à l’œuvre de Dieu », il sait qu’un jour, le mystère de la prière va enfin s’éveiller en lui. Saint Benoît veut nous éviter de manquer une grâce, de passer à côté de la chance de notre vie, il veut nous ouvrir à cette expérience de la Parole qui lève en nous comme le grain enfouis en terre et qui ne demande qu’à pousser vers le ciel. Alors le chant de l’Esprit s’élèvera des profondeurs de notre terre et la pluie de la grâce fera germer la semence.
Mardi 22 novembre :
Père Prieur reprend, à partir de ce matin, ses commentaires de la Règle :
Ce chapitre met en évidence le lien entre la liturgie et les repas. On l’a dit et répété, il y a une continuité entre la célébration de l’office et le repas, et c’est particulièrement visible le Samedi Saint.
Ces deux moments, l’office et le repas, sont des temps où la communauté est rassemblée pour la prière et pour le partage. La fraternité est vécue devant Dieu et devant les frères et avec eux ; il importe donc de commencer ensemble. Le temps ne nous appartient pas, il nous est donné pour que nous le vivions ensemble dans le respect de la présence de Dieu et avec les frères. C’est pourquoi, au signal, nous laissons tout pour répondre à l’appel de la prière ou des repas.
Si nous sommes en retard, nous devons réparer pour prendre conscience que nous devons nous corriger, nous convertir et rétablir notre relation à Dieu et aux frères qui a été mis à mal.
Enfin, saint Benoît fait un rappel en cherchant à combattre l’individualisme qui nous guette tous et toujours : on ne se sert pas quand on veut et comme on veut, mais on reçoit ce qui nous est donné. Là encore, c’est notre relation à Dieu et aux frères qui est soulignée ; nous sommes fils de Dieu et frères les uns pour les autres.
XLIV. DE CEUX QUI SONT EXCOMMUNIÉS, COMMENT ILS DOIVENT SATISFAIRE.
Mercredi 23 novembre :
Ce chapitre prolonge en quelque sorte les chapitres du code pénitentiel que nous avons vus précédemment. Ici, il est question du retour en grâce du frère coupable d’une faute grave. Ce retour est progressif et comporte plusieurs étapes, car le temps est nécessaire pour que la Grâce agisse dans le cœur du pénitent.
Mais celui-ci n’est pas seul, puisque par la gravité de la faute, le coupable s’est séparé de Dieu, de la communauté, et par là, de la communion fraternelle. Et c’est cette même communauté qui fera preuve de miséricorde envers lui. Mais c’est d’abord à l’abbé d’évaluer les étapes de cette conversion, de ce retour progressif ; et c’est aussi l’ensemble de la communauté qui intercède auprès de Dieu par la prière pour le frère jusqu’à sa réintégration complète. C’est donc une recréation qui s’opère chez le pêcheur.
On entend dans ce chapitre le psaume 50 : « Mon Dieu, créé en moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme. Rends-moi la joie de ton salut, que l’esprit généreux me soutienne ». On voit Jésus à l’œuvre lorsqu’il ramène les pêcheurs dans le droit chemin et les relève par son pardon.
XLV. DE CEUX QUI SE TROMPENT À L’ORATOIRE.
Jeudi 24 novembre :
Après avoir envisagé les fautes graves, saint Benoît en vient à ce qu’on pourrait considérer comme des négligences et, spécialement à l’église, pendant les offices.
Il ne faut pas voir ce petit chapitre sous son aspect uniquement disciplinaire, mais il faut le relier à ce qui est dit dans le chapitre sur l’humilité, à savoir que, si Dieu nous regarde, il faut fuir l’oubli, et aussi, comme au chapitre 19 sur la discipline du chant, où il est dit que Dieu est présent : « mais à un degré éminent [..] lorsque nous prenons part à l’œuvre de Dieu ». Saint Benoît nous exhorte donc à chanter avec crainte, avec sagesse, en adoration. Et « nous devons être présent à la psalmodie de telle manière que notre homme intérieur s’accorde avec notre voix », ajoute saint Benoît dans ce dernier chapitre.
Il nous faut donc être présent à ce que nous faisons et à ce que nous chantons. Et même s’il ne s’agit pas de chercher la parfaite exécution technique, encore faut-il respecter les notes, le rythme, la justesse, les respirations, s’écouter les uns les autres et ne pas chanter chacun pour soi. Avant tout, il importe de prier, de prier en chantant, conscients de la Présence de Dieu, et de chanter ensemble, car nous formons communauté, une Ecclesia, surtout pendant les offices. C’est donc bien à cause de notre foi dans la Présence de Dieu, et parce que nous sommes rassemblés en son Nom, que nous devons reconnaitre nos erreurs et nos négligences par l’humilité.
XLVI. DE CEUX QUI COMMETTENT QUELQUE AUTRE FAUTE.
Vendredi 25 novembre :
Dans ce chapitre complémentaire, saint Benoît parle des autres fautes : celles qui concernent le for externe, et d’autres pour le for interne.
Les premières concernent la vie courante. Il est inévitable qu’il y ait des ratés dans notre vie quotidienne, car nous ne faisons pas tout parfaitement : aussi bien dans nos rapports aux choses, qu’aux personnes. Nous ne sommes pas des robots, mais des êtres de chair. Les robots n’ont pas de cœur ; nous avons la grâce d’en avoir un, ce qui nous permet de recevoir et d’exercer la miséricorde venant du Seigneur.
En reconnaissant nos torts, nous demandons la compassion de la communauté et nous sommes alors amenés à en avoir aussi pour les autres comme le dit saint Paul. Quant aux péchés secrets, nous savons aussi que leur source est dans notre cœur. En plusieurs endroits, saint Benoît recommande de les dévoiler à l’abbé ou à un père spirituel, ou encore de « briser immédiatement contre le Christ les mauvaises pensées qui nous viennent du cœur », comme il est dit au chapitre 4, sur les instruments des bonnes œuvres. Car, si on les laissait croître, elles pourraient dégénérer comme le dit saint Paul en énumérant tout ce que produit la chair. C’est bien les conséquences des mauvais désirs venant du cœur. Et Jésus rappelle que tous les péchés viennent du dedans de nous, c’est pourquoi il faut combattre le mal à sa racine.
XLVII. DU SIGNAL DE L’ŒUVRE DE DIEU.
Samedi 26 novembre :
Ce chapitre nous rappelle que le temps ne nous appartient pas ; il est à Dieu qui l’a créé. Sans doute, en avons-nous moins, ou pas du tout, conscience aujourd’hui, car nous voulons maîtriser le temps, le mesurer, pour le mettre au service de toutes nos activités.
Ce que veut rappeler saint Benoît, c’est que le temps nous est donné par Dieu ; Il en est le maître et le signal de l’œuvre de Dieu est un appel à sanctifier le temps en l’offrant à Dieu pour le célébrer. La communauté se rassemble pour se sanctifier dans une prière commune, la prière de l’Église qui s’édifie en célébrant son Seigneur.
Le temps de la journée est sanctifié par les offices qui la rythment depuis le matin jusqu’au soir. Mais au-delà de la journée, c’est aussi toute l’année qui est sanctifiée par le rappel et la célébration des mystères du Seigneur. C’est bien ce que nous faisons aujourd’hui en terminant une année liturgique pour en commencer une nouvelle. Et c’est aussi toute notre vie qui est prise dans ce mouvement de sanctification car, malgré cette apparence de recommencement perpétuel, de mouvement cyclique (journée, année…), nous tendons vers une fin et l’histoire va vers son terme qui est une vie nouvelle et éternelle donnée par Dieu grâce à la résurrection de Jésus, un évènement unique, advenu une fois pour toutes.