L’homélie de la multiplication des pains s’enracine dans plusieurs autres textes de l’Ancien Testament. Par exemple, parmi les miracles attribués au prophète Elie, il y a l’huile inépuisable de la veuve de Sarepta, la résurrection du fils de la Sunamite et d’autres. Et puis, bien sur, pendant l’exode, le miracle de la manne dans le désert.
Le récit est également tributaire de l’institution de l’Eucharistie à la Cène du Jeudi Saint. « Ce que j’ai reçu, dit Saint Paul, (1 Cor 11, 23-27), je vous le transmet ! La nuit même où il fut livré, le Seigneur prit du pain ». Nous continuons à dire pratiquement les mêmes mots à chaque Eucharistie.C’est cela, vivre l’Eucharistie. Ce n’est pas seulement recevoir pieusement le corps et le sang du Christ, c’est de faire ce qu’il a fait, concrètement.
Nous avons des exemples autour de nous de femmes et d’hommes chrétiens, mais aussi plus loin de l’Eglise, en apparence, qui ont donné leur vie. Je pense à Coluche avec ses restaurants du cœur qui demeurent indispensables à la vie des pauvres, longtemps après sa mort. Son souci était de partager, de donner aux plus pauvres. Coluche qui disait : « Je suis la manivelle des pauvres, je leur remonte le moral ». C’était un homme donné, à l’exemple de l’abbé Pierre et de tant d’autres.
Rappelons-nous aussi les paroles du Père Ceyrac : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ». Et, dans cette perte, il y a des tonnes d’égoïsme et d’orgueil, au même titre que ces tonnes de nourriture comestible jetées à la poubelle, chaque jour. En se donnant à nous, Jésus nous permet de nous donner en nourriture pour les autres. L’attitude chrétienne est essentiellement don et partage. « Le don de soi est un achèvement » disait Rilke. Et, pour nous, il n’y a pas d’autre achèvement possible que celui-là : se donner ! C’est le seul que l’Evangile nous enseigne par la vie du Christ.
« Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ce qui veut dire : si vous êtes unis à moi, vous aurez toujours de quoi donner à manger à ceux qui ont faim et soif. Et pas seulement du pain pour le corps, non, J »sus est capable de rassasier toutes les faims humaines et il nous transmet cette capacité. C’est son héritage pour chacun de nous. Il est bien dit dans l’Evangile de ce jour qu’il est pris de pitié pour cette foule. Sommes-nous aussi pris de pitié et de compassion pour la souffrance de nos frères et de nos sœurs ?
Chacun de nous a besoin pour vivre de quelque chose qui vienne d’ailleurs, quelque chose d’essentiel, c’est cela manger ! C’est-à-dire que je n’ai pas en moi de quoi vivre, il faut que je le demande aux autres, que je le reçoive des autres. C’est vrai pour chacun de nous, que nous soyons riches ou pauvres : ma vie, je la reçois. J’existe, je ne peux exister que par les autres, relié à eux, relié à tous les hommes, relié à Dieu. Derrière toutes nos faims, derrière toutes les faims des hommes, il y a Dieu. Recevoir Dieu et donner Dieu, c’est notre vocation. Si nous pouvions prendre conscience de cette réalité, nous serions beaucoup plus heureux.
« Quand on est mort, c’est pour la vie » chante Guy Béart. A condition d’écrire Vie avec un grand V. L’Eucharistie, mémorial de la mort et de la Résurrection du Christ, ou tout est donné et partagé pour la vie éternelle.
Amen
Fr. Michel
Moine du Bec
